Guernesey, 16 août [18]72, vendredi, 7 h du matin.
Je viens de me payer une forte nuit, ainsi que tu peux le voir, mon grand adoré, par l’heure de mon gribouillis. J’espère que tu auras eu le bon esprit d’en faire autant si j’en juge par l’absence de ton cher petit signal [1]. À ce sujet, je remarque que la partie vitréea de ton lucout de mon côté, est complètement masquée par une végétation luxuriante qui n’existait pas il y a deux ans. Ça n’est pas sale, au contraire, mais cela empêche de voir l’intérieur de ta chambre de verre à travers lequel je distinguais très bien la petite statuette en faïence blanche de ton poêleb. Hélas ! Il y a bien d’autres regrets pour moi depuis le jour où j’ai quitté la petite maison d’où je te voyais aller et venir [2], d’où j’entendais ta chère voix et d’où nous échangions de tendres pantomimes. Chaque fois que je revois ces trois fenêtres d’où j’épiais l’heure de ton coucher et celle de ton lever je sens une indiciblec tristesse et les larmes m’en viennent aux yeux. Et pourtant Dieu sait tout ce que tu as fait, inventé et dépensé pour me faire un nouveau paradis de cette maison-ci. Mais mon regret persiste toujours même malgré ma reconnaissance pour ta générosité et je répète malgré moi le banal mais vrai proverbe : Le mieux est l’ennemi du Bien. Je t’aime, je t’adore, je te bénis.
BnF, Mss, NAF 16393, f. 227
Transcription de Bulle Prévost assistée de Florence Naugrette
a) « vitré ».
b) « poële ».
c) « indisciple ».