15 mars [1842], mardi soir, 5 h. ¾
Non certainement, mon amour, cela ne datera pas de votre réception d’aujourd’hui, elle a été trop insignifiante pour qu’elle compte pour quelque chose d’autrea que le bonheur de vous voir et de vous sentir auprès de moi. Dans l’espoir de me rabibocher d’une manière éclatante, je me soigne et je me dorloteb comme vous le voulez. Depuis que vous êtes parti je n’ai pas bougé, si ce n’est pour passer d’une chambre dans l’autre. Je n’ai pas pu faire votre tisanec, ce qui m’a causée un véritable chagrin. Tout cela dans l’espoir d’être bientôt guérie et prête à faire feu au moindre signal [1]. C’est égal, je suis bien contente de vous avoir un tout petit moment ce matin. Je l’aurais été davantage encore si …..d mais ce n’est pas ma faute. Tu ne m’en veux pas, n’est-ce pas mon Toto ? Vous étiez bien beau tout à l’heure : si c’est pour aller à l’Institut, vous êtes bien absurde de vous bichonner de la sorte [2]. Si c’est pour aller autre part, vous êtes un vilain monstre qui me trahissez. Taisez-vous, vous êtes un scélérat capable de tous les crimes.
Il fait bien beau ce soir. J’ai une de mes croisées ouvertee et Jacquot sur la barre d’appui regardant et les chiens et les gamins passer. Je voudrais bien être avec vous, n’importe où vous êtes. Hélas ! le beau temps et le bonheur ça n’est pas pour mon fichu nez. Décidément je dis toujours la même chose. Pour changer je te ferai souvenir d’écrire la lettre à ton cousin [3] pour ces pauvres Lanvins [4]. Et puis je t’aime mon Toto et dans mon désir de guérir plus vite je me prive de t’écrire une seconde fois aujourd’hui pour te baiser plus tôtf et plus complètement que ce matin.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16348, f. 163-164
Transcription de Anne-Estelle Baco assistée de Florence Naugrette
a) « pour qu’elle chose autre ».
b) « dorlotte ».
c) « tisanne ».
d) Les points de suspension courent jusqu’à la fin de la ligne.
e) « ouvertes ».
f) « plutôt ».