Université de Rouen
Cérédi - Centre d'étude et de recherche Editer-Interpréter
IRIHS - Institut de Rechercher Interdisciplinaire Homme Société
Université Paris-Sorbonne
CELLF
Obvil

Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

Accueil > Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo > 1858 > Juillet > 29

Guernesey, 29 juillet 1858, jeudi, 7 h. du matin

Bonjour, mon Victor adoré, bonjour avec la joie de te savoir guéri car maintenant ce n’est plus qu’une question de cicatrisation qui se fera bien vite à en juger par les grands changements survenus dans ta plaie et dans ton état général de santé. Bonjour aussi avec tous mes regrets d’avoir manqué deux fois le bonheur de te voir de loin. Je m’en fais un reproche comme si c’était de ma faute quoiqu’il n’y ait dans ces deux déceptions involontaires que ma mauvaise chance habituelle. Aujourd’hui, je tâcherai de ne pas perdre de vue ta maison, mais je compte plus sur ta bonté à venir me voir toi-même dès que tes forces te le permettront, que sur une chance à me trouver là quand tu apparais à ton balcon à des heures inattenduesa. J’espère que tes forces et le temps te permettront bientôt, peut-être même aujourd’hui, ô bonheur, de venir jusqu’ici. Sais-tu, mon pauvre adoré, qu’il y aura ce soir quinze grands jours que je ne t’ai pas vu. Quinze siècles de tourments et de douleur pour moi et quinze mille d’amour et de caresses accumulées que j’ai besoin de te restituer.

BnF, Mss, NAF 16379, f. 186
Transcription d’Anne-Sophie Lancel assistée de Florence Naugrette

a) « inatendues ».


Guernesey, 29 juillet 1858, jeudi midi

Cher bien-aimé, le bon Docteur est un peu contrarié aujourd’hui de l’acuité des petits boutons que tu as au bas des reins. Non qu’il s’en effraye, Dieu merci, mais parce qu’il voudrait t’épargner de nouvelles petites souffrances. Il pense avoir raison de ces petits boutons avec le cataplasme à l’extrait de Saturne mais s’ils persistaient à te faire souffrir, il compte te les percer demain pour t’en délivrer tout de suite. J’espère qu’il n’aura pas besoin d’en venir là et que le cataplasme et la position horizontale plus longuement gardée suffiront à calmer ces méchants petits bobos. En attendant, je n’ose pas espérer le bonheur de te voir encore aujourd’hui, même de loin, car il ne faut pas te fatiguer ni t’enrhumer, ce qui pourrait t’arriver par le vent froid d’aujourd’hui. Sois prudent, mon cher adoré, je tâcherai de mon côté d’être patiente en t’aimant de toute mon âme. Je te fais faire un bon bouillon et j’ai fait acheter en cas une petite plie pareille à celle de l’autre fois. Ainsi, mon bien-aimé, ne te fais pas faute des petites ressources que ma prévoyance met à ta disposition. J’ai encore un petit blanc de poulet si le goût t’en dit. J’ai donné tantôt un œuf frais à Rosalie. Qui ne puis-je t’envoyer mon cœur en même temps ! Mon Victor béni, je t’adore.

BnF, Mss, NAF 16379, f. 187
Transcription d’Anne-Sophie Lancel assistée de Florence Naugrette


Guernesey, 29 juillet 1858, jeudi, 4 h. ¼ après-midi

Je t’ai revu, mon bien, ma joie, ma vie, mon âme, je t’ai donc enfin touché du regard, mon pauvre adoré J’aurais voulu faire passer tout mon cœur en toi dans une effluvea magnétique pour te mieux pénétrer de mon amour et de ma tendresse. Pauvre doux bien-aimé, comme on voit, même de loin, combien tu as souffert. Ta belle et noble figure m’a paru amaigrie et si pâle que je craignais que tu ne te trouves mal sur ton balcon. J’espère que cette apparition et la station dans ta volière ne t’auront pas trop fatigué, mon pauvre petit convalescent, mais je t’approuve de n’y être pas resté plus longtemps à cause de l’air trop vif. Ô mon bien-aimé, ne fais pas d’imprudence même pour me donner la suprême joie de te voir une minute à travers la distance de nos deux maisons. Guéris-toi, avant toute chose, avant mon bonheur, avant ma vie s’il le faut. Guéris-toi, soigne-toi. J’aurai toute la patience nécessaire car je t’adore.

BnF, Mss, NAF 16379, f. 188
Transcription d’Anne-Sophie Lancel assistée de Florence Naugrette
[Souchon, Massin]

a) « éfluve ».

Guernesey, 29 juillet 1858, jeudi soir, 8 h.

Cher adoré, mon enfant, mes entrailles, mon bonheur en cette vie et dans l’autre, je te bénis. Kesler m’assure que tes petites évolutions dans la serre et sur le balcon ne t’ont pas fatigué et que tu vas très bien ce soir, ce qui me laisse ma joie entière de t’avoir revu aujourd’hui. Il m’assure en outre que tes bobos vont très bien et que tu ne les sentiras plus demain. Je suis si heureuse de toutes ces bonnes nouvelles que je ne veux pas les contrôler de trop près pour ne pas troubler mon bonheur. D’ailleurs, le docteur m’avait déjà dit qu’il comptait beaucoup sur l’extrait de Saturne [1] pour cuire tous ces bobos intempestifs. Il est probable que ce soir il trouvera ces prévisions réalisées. En attendant, mon doux bien-aimé, je prie Dieu dans toute la ferveur de ma reconnaissance pour la joie qu’il m’a donnée aujourd’hui de te donner une bonne nuit et un réveil aussi doux que mon amour. Bonsoir, mon bien-aimé, je baise ton beau front et tes chers petits pieds.

BnF, Mss, NAF 16379, f. 189
Transcription d’Anne-Sophie Lancel assistée de Florence Naugrette

Notes

[1Extrait de Saturne : dissolution de sous-acétate de plomb, utilisé en lotions, en fomentations, en injections, en cataplasmes, dans les cas d’erysipèles, de piqûres d’insectes, de dartres, et dans le traitement des contusions et plaies, des ulcères, des tumeurs, etc., ainsi que comme cosmétique.

SPIP | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0
(c) 2018 - www.juliettedrouet.org - CÉRÉdI (EA 3229) - Université de Rouen
Tous droits réservés.
Logo Union Europeenne