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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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20 août [1840], jeudi après-midi, 4 h. ½

Je voulais ne pas t’écrire, mon Toto, ou plutôt je veux ne plus t’écrire car j’ai trop souvent des sujets de tristesse et d’amertume qu’il est inutile de constater par unea espèce de procès-verbal jour à jour et minute à minute. Cette petite démonstration quotidienne de ma pensée et de mon amour ne peut avoir de charme que si rien d’amer et de désenchantéb ne s’y mêle, autrement à quoi bon ? Je n’ai pas assez d’esprit pour me servir avec fruit des occasions fréquentes de chagrin que tu me donnes et si quelque chose peut se tolérer dans ce gribouillage de tous les jours ça ne peut être qu’un cri de joie, d’amour et de bonheur. Je t’ai déjà demandé plusieurs fois de me laisser discontinuer ce commerce épistolaire que je fabrique à moi toute seule, je pense que tu ne t’y opposeras plus et que je pourrai être sans contrainte et sans mauvaise grâce triste et malheureuse lorsque tu m’auras injustement blessée.
Je voudrais aussi, mon bien-aimé, pour éviter de mettre en action ce proverbe populaire que : lorsqu’il n’y a pas de foin au râtelier les chevaux se battent, nous nous entendissions sur ce que nous pouvons dépenser et sur quoi tu veux faire porter tes économies et ta réforme. Moi je suis prête à tout pour éviter même l’ombre d’un reproche comme ceux que tu m’as adressés tantôt chemin faisant et à travers ta jalousie que j’excuse. J’avais prévu ce qui arrive et je ne suis pas aveuglée sur ce qui arrivera mais je veux ne rien négliger pour te faire ouvrir les yeux sur tes propres ressources et pour t’arrêter n’importe à quelle borne de ce mauvais chemin dans lequel tu m’as forcée d’entrer avec toi.
Maintenant, mon bien-aimé, je peux te dire avec force et avec vérité que je te suis fidèle de corps, de pensée et d’actions plus qu’une sainte ne l’est au ciel devant Dieu. Tout ce que je t’ai dit pour l’argent de cette tirelire est vrai depuis un bout jusqu’à l’autre et ce qui est aussi vrai c’est que tu m’as bien profondément chagrinée injustement et que je t’aime.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16343, f. 103-104
Transcription de Chantal Brière

a) « un ».
b) « désanchanté ».

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