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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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19 avril [1840], dimanche matin, 10 h. ¾

Bonjour mon cher bien-aimé, bonjour mon BEAU. Vous n’êtes pas revenu cette nuit malgré vos promesses et malgré l’indulgence excessive que j’ai montrée pour cette escapade d’hier et cette élégance intempestive. Une autre foisa je m’abandonnerai à ma férocité naturelle et je vous dévorerai sans pitié.
J’ai toujours un mal de tête absurde mais je vous aime, mon amour, vous ne saurez jamais jusqu’où. Je souffre mille martyresb pour chacune des minutes de votre absence. Je vous aime trop mais je ne peux ni ne veux me corriger. Donnez-moi votre cher petit bec que je l’emplisse de baisers, donnez-moi votre cher petit cœur que je l’emplisse d’amour et donnez-vous à moi pour que je sois la plus heureuse des femmes.
Il fait un temps ravissant mais je ne sortirai pas, bien entendu, et de plus je ne verrai personne aujourd’hui parce que j’ai remis à demain mon jour à cause de Claire. Je consentirais volontiers à ne voir âme qui vive dans toute ma vie si je ne vous quittais pas mais, hélas, je ne vous ai presque jamais et je n’ai personne à qui parler de vous. Enfin tel qu’il est, mon sort, je ne le changerais pas contre aucun si riche, si libre et si puissant qu’il soit. Ainsi jugez si je vous aime et comment je vous aime. Tâchez de venir et de ne pas mettre tant de madapolamc [1], je vous trouve toujours trop beau.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16342, f. 55-56
Transcription de Chantal Brière

a) « autrefois ».
b) « martyre ».
c) « madépoléme ».


19 avril [1840], dimanche soir, 4 h. ¾

Tu viens de t’en aller, mon adoré petit homme, et avec toi s’en sont allésa ma joie et mon bonheur. Tu m’as promis de revenir bientôt mais je n’ose pas l’espérer parce que je vois bien que tu travailles et que c’est aujourd’hui dimanche et que tu donneras ton loisir, si tu en as, à ta famille. Moi pendant ce temps je vais lire le même livre que toi, mais j’aurai beau faire ma pêche ne sera pas aussi abondante que la tienne, mon habile pêcheur. En général je pêche des poissons morts, le patron de La Ville de Cannes [2] en sait quelque chose. Mais je vous aime, mon amour, et je comprends à merveille toute votre sublime poésie.
Quel charmant petit être vous êtes, mon grand Toto ; à l’œil vous êtes petit et brillant comme une étoile du ciel, à l’esprit vous êtes grand comme le monde. Mon Dieu que je vous aime mon Toto. Vous avez oublié votre canne, mon Toto, si vous étiez bien inspiré vous viendriez la reprendre et je baiserai votre chère petite bouche que j’ai à peine eu le temps d’effleurer tout à l’heure. Pense à moi mon adoré. Pense à ma tristesse loin de toi et reviens bien vite me donner de la joie.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16342, f. 57-58
Transcription de Chantal Brière

a) « s’en est allé ».

Notes

[1Madapolam : « Étoffe de coton employée en lingerie, de texture intermédiaire entre le calicot et la percale. » (CNRTL / Atilf)

[2Il s’agit certainement du bateau qui a conduit Hugo et Juliette aux îles de Lérins, le 7 octobre 1839, lors de leur séjour à Cannes.

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