Université de Rouen
Cérédi - Centre d'étude et de recherche Editer-Interpréter
IRIHS - Institut de Rechercher Interdisciplinaire Homme Société
Université Paris-Sorbonne
CELLF
Obvil

Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

Accueil > Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo > 1840 > Novembre > 10

10 novembre [1840], mardi après-midi, 1 h. ½

Je t’aime, je t’aime, je t’aime de toutes mes forces, de tout mon cœur et de toute mon âme. Quand je te vois c’est la joie, le bonheur et le paradis. Tu es beau, tu es grand, tu es adorable, je t’aime, jour Toto. Papa est bien i, voime, voime, mais il n’y a pas beaucoup de onzin [1] ni de boîte ni de machin qui tient beaucoup de place. Je vous dis que vous êtes un vieux avare et encore un vieux guil… débauché. Tâchez de ne pas rester jusqu’à minuit sans venir me voir. Je suis si bête, si triste et si désœuvrée quand vous n’êtes pas auprès de moi que c’est une conscience à vous de ne pas me laisser longtemps dans cet état. Quand je dis désœuvrée ce n’est pas faute d’occupations car c’est tout au plus si j’ai le temps de me débarbouiller. Je parle seulement de mon pauvre esprit qui bat la breloque et ne sait que faire dès que mes yeux vous ont perdu de vue. Je viens de voir Penaillon tout à l’heure à qui je n’ai rien ACHETÉ. Comme tu le penses bien j’attends mes créanciers et je vais cogner mes clousb tout à l’heure, que n’en puis-je faire autant d’eux, avec quel plaisir je leur donnerais des grands coups de poings sur le nez : vli, vlan. Je me console en te donnant des [gros  ?] baisers sur les yeux.

Juliette

BnF, Mss, NAF, 16343, f. 147-148
Transcription de Chantal Brière

a) « cloux ».


10 novembre [1840], mardi soir, 4 h. ½

Je suis habillée, mon Toto, mon ménage est fait, mes clousa sont cognés, mes créanciers payés à l’exception de Mme Guérard qui n’a pas encore envoyé. Jourdain a envoyé avec un reçu au nom de Lanvin en même temps il a fait prendre la peau de chevreuil [2] à laquelle je tiens parce qu’elle me rappelle notre voyage, une journée charmante, une ville ravissante, une promenade au vieux château inconnu par une soirée délicieuse et enfin notre amour qui ce jour-là avait mis dehors toutes ces flammes et toutes ces joies. Aussi j’ai recommandé la peau de cet innocent chevreuil plus que si c’était la peau la plus rare d’un tigre du Bengale. Je t’aime toi, je t’adore vous. À propos j’oubliais de te dire que j’étais rentrée d’aujourd’hui en possession du premier billet de 300 f. de Gérard et que sur le second il y a déjà vingt francs de donnés. Pauvre bien-aimé, c’est à toi, à ton courage et à ton dévouement que je dois cela et que je devrai ma tranquillité. Sois béni mon adoré pour tout le bien que tu fais sur la terre mais soisb béni encore pour le bonheur que tu me donnes. Je baise tes chers petits pieds et tes ravissantes petites mains. Tu es mon trésor et ma joie. Jour papa. Papa est bien i, je l’adore. Ne viens pas trop tard mon bien-aimé. Il y a déjà bien longtemps que je n’ai vu ta belle figure rayonnante. Il y a un siècle que je n’ai baisé tes belles lèvres roses.

Juliette

BnF, Mss, NAF, 16343, f. 149-150
Transcription de Chantal Brière

a) « cloux ».
b) « soit ».

Notes

[1À élucider. La lecture n’est pas douteuse.

[2Cette peau de chevreuil qui servira de couvre-lit à Juliette (voir lettre du 21 décembre 1840) est un souvenir rapporté du voyage. Jean-Marc Hovasse signale le passage des Misérables où il est question de cet élément décoratif acheté « à Tottlingen, près des sources du Danube » et présent dans la maison de Monseigneur Myriel. (Victor Hugo. Tome 1. Avant l’exil, Fayard, p. 795).

SPIP | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0
(c) 2018 - www.juliettedrouet.org - CÉRÉdI (EA 3229) - Université de Rouen
Tous droits réservés.
Logo Union Europeenne