3 mars [1840], mardi soir, 5 h. ¼
Vous voyez, mon cher bien-aimé, que tous mes manuscrits sont bien en ordre et que vos vers n’y sont pas. Il me reste à regarder dans toutes mes chères petites lettres après quoi ce sera à moi à vous demander ce que vous en avez fait de ces vers ? Et je vous préviens d’avance qu’il faudra les retrouver et me les rendre tout de suite. Je voudrais bien aussi chemin faisant que vous n’alliez pas tant voir les masques [1] et que vous veniez un peu plus me voir. Je crois sans vanité que je suis une chienlita [2], lit, lit comme une autre et que vous pouvez bien à ce titre me donner la préférence. Baisez-moi. Vous ne viendrez pas me chercher pour sortir par conséquent je n’ai pas besoin de vous dire que je ne suis pas sûre de trouver la mère Pierceau. D’ailleurs une fois en route peut-être n’aurez-vous pas le cœur de me ramener dans ma prison et que vous me donnerez une petite culotte comme l’année passée, ainsi c’est dit : en supposant que vous veniez me chercher pour aller chez la mère Pierceau. Je ne vous préviendrai pas qu’il est possible qu’elle soit chez Mme Franque. D’ailleurs voici l’heure déjà trop avancée pour que vous veniez, ainsi ma réticence sera inutile. Baisez-moi mon Toto, baisez-moi mon cher bijou et aimez-moi la moitié moins de ce que je vous aime, je m’en contenterai. Voici Claire partie, rien ne vous empêche de venir déjeuner maintenant ? Pensez-y et venez bien vite auprès de votre pauvre Juju.
BnF, Mss, NAF 16341, f. 226-227
Transcription de Chantal Brière
a) « chianlit ».
3 mars [1840], mardi, midi ¾
Bonjour mon Toto bien-aimé. Bonjour mon adoré. Claire est retournée à la pension, voici comment : Lanvin est venu à 11 h. pour me dire qu’il avait vu M. Pradier qui lui avait remis 420 F. pensant que cela suffisait pour acquitter les 2 trimestres avec les fournitures ; il a beaucoup grogné, et avec raison, sur certains petits abus qui ne se renouvelleront plus, je l’espère. Du reste pour les 137 F. restants, il fera tout son possible pour les donner le plus tôta possible. Alors, voyant Lanvin disposé à aller tout de suite porter l’argent à Mlle Hureau et n’étant pas sûre que tu puissesb reconduire Claire ce soir, j’ai profité de l’occasion pour la faire ramener à la pension. D’ailleurs j’aime autant que ce soit Lanvin qui fasse toutes ces observations, d’abord je les réitérerai la prochaine fois que j’irai ce qui fera encore bien. Quant à la petite indisposition [3] de Claire il n’y a pas à s’en inquiéter, tout s’est passé comme s’il y avait quinze ans qu’elle fût dans le métier, ainsi il n’y avait pas nécessité de voir Mlle Hureau plutôt aujourd’hui qu’un autre jour et il y en avait une très grande à faire rentrer Claire à sa pension. J’ai fait pour le mieux. Dans tout ça, mon Toto, je ne demande en récompense qu’un peu d’amour, ce n’est pas très tyrannique comme tu vois. Il y a sept ans à pareil jour [4] nous étions bien joyeux, bien heureux, bien ravis l’un de l’autre, cette année la joie manquera sans aucun doute, mais mon amour sera présent ; aussi vif, aussi passionné, aussi enthousiaste que le premier jour et vous mon Toto ? Vous n’y pensez seulement pas, méchant, si vous vouliez nous pourrions être si heureux. Je t’aime mon Toto.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16341, f. 228-229
Transcription de Chantal Brière
a) « plutôt ».
b) « puisse ».