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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Bruxelles, 6 février 1852, vendredi matin, 10 h.

Bonjour, mon Victor bien-aimé, bonjour, si tu penses à moi et si tu m’aimes je suis bien heureuse et je me porte bien. Ton amour c’est le régulateur de ma santé et de ma joie ; ta loyauté c’est ma vie. Avec elle je peux tout supporter. Mais par la même raison je sens que je ne résisterais pas à ta trahison eût-elle pour excuse mon repos, ma santé, mon bonheur et ma vie. C’est pourquoi, mon cher bien-aimé, tu me vois toujours occupée à provoquer chez toi la confiance absolue sur toutes choses. Y suis-je parvenue ? Dieu et ta conscience le savent. Quant à moi, mon Victor, je me rends la justice que j’ai fait humainement tous les efforts pour t’inspirer cette confiance en moi et j’attends mon sort avec résignation. Après tout ma vie ne vaut pas la peine d’être tant défendue.
Hier tu es venu me voir à peu près à cette heure-ci ; était-ce le commencement d’une douce habitude ? Je n’ose pas l’espérer mais je serais bien heureuse que cela fût ainsi. Au reste je t’attends à tous les instants de ma vie même quand tu ne dois pas venir me voir. J’ai tant besoin de toi, mon pauvre adoré, que je ne vis qu’à demi dès que mes yeux te perdent de vue. Tu n’as pas pu revenir hier au soir. Je le pensais car, une fois rentré chez toi avec ton fils à l’heure qu’il était, il devenait bien difficile de ressortir surtout par le temps qu’il faisait. Aussi, mon doux adoré, je n’ai pas été surprise de ne plus te revoir, mais aucune raison ne peut m’empêcher d’en être bien triste. J’ai passé le reste de ma soirée en travaillant tête-à-tête avec M. [illis.]. Mme [Briavoin  ?] étant venue presque aussitôt après toi je me suis réfugiée chez elle qui n’a pas plus de goût que moi pour le [susdit ?] individu. Voilà, mon adoré, à une partie d’amour près qui a eu lieu avant de se coucher, l’emploi de mon temps que tu pourrais mieux occuper si tu voulais.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16370, f. 63-64
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette


Bruxelles, 6 février 1852, vendredi après-midi, 2 h.

Je t’obéirai en tout mon bien-aimé et je sortirai tous les jours autant que le temps le permettra et malgré ma répugnance à sortir sans toi. Je te demande grâce pour aujourd’hui car je n’ai pas encore pris mon courage à deux pieds et je crois que je ferais une assez sotte promenade si tu m’y forçais absolument. Si tu savais, mon pauvre doux adoré, combien c’est vrai que hors toi qui esa ma JOIE, mon soleil et mon bonheur tout m’est corvée, ennui et tristesse. Je ne me plais que où tu es et où je puis t’attendre. Partout ailleurs je suis mal et plus loin de toi. Mais enfin je t’obéirai mon Victor en cela comme en toute chose et demain je me mets en route quel que soit l’état du baromètre.
Cher bien-aimé il est impossible sérieusement que tu couches dans ce lit infect. Dans ce cas-là il vaut mieux avoir un lit de sangle propre et deux bons matelas à moi avec un oreiller. Je t’en supplie, mon pauvre doux adoré, ne persiste pas dans cet inutile martyr qui aurait pour prompt résultat de t’échauffer le sang et de rendre tes pauvres yeux malades. Il n’y a rien de plus facile que de substituer un lit de sangle et mon matelas à cette pourriture de lit. Je t’en prie, n’hésite pas plus longtemps.
Demain mon pauvre bien-aimé tu auras ton déjeuner. M. Luthereau vient d’écrire à M. Couvreur, dont la mère a une fabrique de chocolat, de lui en envoyer à essayer tout ce qu’il y aura de meilleur. Tu me diras l’heure à laquelle tu veux qu’on te le porte et on sera très exact. Quant à la lampe je montrerai à Suzanne à la faire en lui recommandant d’en avoir soin si tu penses qu’elle te soit utile. En attendant, mon cher adoré, je te remercie pour les charmantes lettres que tu m’as fait lire. Après le bonheur de t’entendre c’est ce que je connais de plus touchant, de plus énergique, de plus noble, de plus fier et de plus raisonnable. Merci, mon adoré bien-aimé, de m’associer à ta vie intelligente dont je suis digne, sinon par l’esprit, par le cœur.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16370, f. 65-66
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette

a) « est ».

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