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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Jersey, 26 septembre 1852, dimanche matin, 6 h.

Bonjour, mon pauvre bien-aimé, bonjour. Voilà plus de deux heures que j’attends le jour pour me lever. Je ne sais rien de plus anxieux qu’un lit dans lequel on ne dort pas. Cette vérité, digne de M. de la Palicea, peut se passer de développement. Aussi, quelle queb soit la pauvreté de mon imagination, je renonce à m’étendre sur ce sujet.
D’un autre côté, mon pauvre bien-aimé, je crains d’aborder des questions sur lesquelles nous ne nous entendons pas et s’il m’est impossible de rester indifférente à tout ce qui te touche, je peux m’abstenir d’émettre une opinion contraire à la tienne. J’entrevois tant d’ennui pour toi et de chagrin pour moi dans la nouvelle position que tu acceptes vis-à-vis de cette nouvelle arrivée que je m’en effraye d’avance. Cependant, je suis résolue à ne pas t’imposer ma défiance, c’est bien assez que je ne puisse pas m’y soustraire sans essayer de te la faire partager. Agis comme tu l’entendras dans l’intérêt de ton pauvre fiévreux de fils [1] en sacrifiant le moins possible de ta dignité et de mon bonheur. Je me suis promise à moi-même de n’être jamais un obstacle aux intérêts de ta famille quels qu’ilsc fussent. Je tiendrai ma promesse coûte que coûte. Le jour où ma présence sera un embarras, une gêne ou une contrainte pour toi je me hâterai de t’en délivrer tu le sais bien n’est-ce pas mon pauvre bien-aimé. Ce n’est pas une menace mais une promesse sur laquelle tu peux compter en toute sécurité. Je te dis cela à propos de cette dame [2] dont la tyrannique effronterie me révolte et me couvre d’une sorte de confusion comme si je devais être responsable des sottises de cette créature. Mais je sens que, quelle qued soit ma conduite vis-à-vis de ta famille, elle ne manquera pas de saisir ce prétexte pour me confondre avec cette espèce de folle et pour faire peser sur moi une sorte de solidarité morale. Je le sens et j’en souffre dans la fierté de mon amour, dans sa délicatesse et dans son dévouement. Mais il ne s’agit pas de moi pour le moment. Il s’agit de ton fils et des moyens de l’empêcher de devenir la proie de cette dangereuse personne. Je n’ose pas plus t’en indiquer un que de te défendre l’autre. Je te laisse pleine et entière liberté à ce sujet m’en rapportant à ta prudence pour ne rien faire de contraire à ta dignité et au respect que tu dois à notre amour.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16371, f. 369-370
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette

a) « Palisse ».
b) « quelque ».
c) « quelqu’ils ».
d) « quelque ».


Jersey, 26 septembre 1852, dimanche, midi

J’ai le cœur gros, mon cher bien-aimé, en pensant que je ne te verrai pas aujourd’hui. C’est une sensation qu’il m’est impossible de ne pas éprouver chaque fois que je sais que tu ne dois pas revenir auprès de moi aux heures accoutumées. Il ne faut pas m’en vouloir et exiger que je sois autrement parce que ce serait tout à la fois injuste et impossible.
Du reste il fait encore plus beau aujourd’hui qu’il n’a fait depuis que nous sommes dans cette île. Il est probable que vous en profiterez malgré l’honorability du dimanche et la déshonorabilité de la circonstance. Dans cette prévision, je fais provision de courage et de résignation et je tâche d’endormir mon cœur pour qu’il oublie l’heure à laquelle il a l’habitude de t’attendre. Et puis, mon pauvre bien-aimé, je ne veux pas te montrer mon égoïsme dans toute sa hideur. Je veux te sourire malgré les larmes qui mouillent mes yeux et je te crie confiance, amour et bonheur en dépit du mauvais esprit qui me souffle toutes sortes de méchancetés à l’oreille. Je n’écoute que ta voix, je ne crois qu’en toi et je n’espère qu’en toi quelle quea soit la fausse évidence qui me frappe les yeux. Reviens quand tu pourras. Tâche de ne pas trop m’oublier d’ici là et sois heureux autant que tu peux l’être, toute difficulté cessante.
Je devrais terminer mon gribouillis ici pour ne pas me répéter à satiété dans ma tendresse et dans mon amour et surtout pour ne pas tomber dans le piège des regrets et des amertumes ; mais la longueur du papier m’oblige à faire acte de témérité en continuant. J’accepte courageusement cette nécessité et j’espère arriver à la fin sans avoir dit un seul mot triste, découragé ou injuste. Pour cela je n’ai qu’à laisser parler mon cœur : mon Toto je t’aime. Mon Toto je veux que tu sois libre d’agir comme tu l’entends, mon Victor j’ai toute confiance en ta loyauté, mon petit homme je veux que vous soyez heureux n’importe à quel prix. Mon bien-aimé, je vous adore.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16371, f. 371-372
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette

a) « quelque ».

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