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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Jersey, 3 décembre 1852, vendredi matin, 9 h.

Bonjour, ma vie, bonjour, mon âme, bonjour, ma joie et mon bonheur, bonjour.
Cher adoré, à partir d’hier jusqu’au 14 de ce mois, il n’y a pas un seul jour qui ne me rappelle les dangers auxquelsa tu as été exposé il y a un an et les terreurs et les angoisses inexprimables que j’ai éprouvéesb pendant ces dix affreux jours [1]. Aujourd’hui, ce matin, à la même heure, tu étais au faubourg Saint-Antoine, affrontant et provoquant à toi seul une troupe forcenée qui ne connaissait plus rien et ne respectait plus rien. Je te vois encore, mon pauvre bien-aimé, interpellant les soldats pour les rappelerc à leur devoir et au véritable honneur, menaçant les généraux et les foudroyant de ton mépris. Tu étais effrayant et sublime. On eût dit le génie de la France en proie au plus amer désespoir en voyant s’accomplir le plus lâche et le plus vil de tous les crimes. C’est un véritable miracle que tu sois sorti vivant de ce faubourg que tu remplissais à toi seul d’héroïque fureur. Il a fallu que tous ces misérables aient subi l’influence de ta transfiguration car, dans ce moment-là, tu n’étais plus un homme, tu étais l’ange de la patrie en proie à la plus douloureuse indignation. D’y penser j’en suis encore toute terrifiée et tout éblouie.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16372, f. 225-226
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette
[Blewer, Guimbaud, Massin, Souchon]

a) « auquels ».
b) « éprouvé ».
c) « rappeller ».


Jersey, 3 décembre 1852, vendredi après-midi, 2 h. ½

J’ai reçu des nouvelles de France ce matin, mon cher petit homme, assez chétives et assez maussades, car il paraît qu’on a accueillia assez piteusement ma requête chez mes prétendues amies ; cela ne m’étonne pas mais cela m’écœure car rien n’est plus révoltant et plus humiliant que l’égoïsme à ce degré de faiblesse et de couardise. Du reste, tu verras une lettre de Louise [2] très curieuse. Il paraît qu’on l’empêche de s’embarquer à Granville où elle était le 29 septembre pour venir me voir, sous prétexte que son passeport ne contenait pas l’indication de Jersey. Elle a eu beau réclamer et donner des raisons, tout a été inutile. On lui a dit qu’il fallait, si elle tenait à cette excursion, retourner à Paris et faire viser son passeport pour Jersey. Quels infâmes gredins. Cela n’empêche pas les bourgeois stupides de faire fête à cet ignoble gredin [3].
Tâche de revenir bien vite, mon pauvre petit souffreteux, car le rhume s’arrange mal du brouillard et du froid de la nuit. Je t’attends, mon doux adoré, avec la plus tendre sollicitude et puis je t’aime, je t’aime, je t’aime à en remplir la terre et le ciel. Mon Victor béni, reviens bien vite. Je t’attends et je te désire de toutes mes forces.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16372, f. 227-228
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette

a) « acceuilli ».

Notes

[1Le « Journal du coup d’état » rédigé par Juliette Drouet retrace le déroulement de ces journées où se mêlent peurs, espoirs, actions, affrontements, réflexions,… Juliette Drouet, Souvenirs 1848-1854, texte établi, présenté et annoté par Gérard Pouchain, des femmes/Antoinette Fouque, 2006, p. 177-252.

[3L’Empire est proclamé le 2 décembre 1852 pour l’anniversaire du sacre de Napoléon. Napoléon III effectue une entrée solennelle par l’Arc de Triomphe, les Champs Élysées et les Tuileries.

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