Paris, 30 octobre 1881, dimanche matin, 8 h.
Cher bien-aimé, j’espère que ta nuit aura été meilleure à la fin qu’au commencement ; je le désire ardemment. Quant à mois, ma perfide goutte me tâte de tous les côtés et ne m’a pas laisséea une heure tranquille jusqu’à présent. Aussi, pour lui faire la nique, je veux dès aujourd’hui commander définitivement au marbrier Lardot une bonne et épaisse couverture qui me tienne chaud l’hiver et me fasse belle l’été [1]. Pardonne-moi cette dernière coquetterie et ce dernier sybaritisme et cette dernière folie. Cela dit et accordé, je t’apprends que le Sénat ne reprendra ses séances que jeudi prochain à trois heures.
Autre guitare, mais je ne ris plus car c’est très sérieux, la prière que je te renouvelle, dans l’intérêt de ta gloire immaculéeb et vénérée universellement, c’est de ne pas signer ce que cette simili princesse [2] te demande au nomc de Mme Mac Mahon [3], y compris toutes les reines déclassées et tous les monarques excentriques et exotiques, tous les évêques et archevêques in partibus. Je te supplie, mon adoré, de décliner cet honneur ridicule et cela t’est d’autant plus facile qu’il n’y a pas dans cette liste un nom vraiment français. D’ailleurs tu ne peux pas te donner à toi-même un démenti, toi qui as refusé de souscrire pour l’hôpital français à Londres à cause de la reine et des princes.
En attendant je fais force de voile et de rame pour être prête à l’heure du déjeuner. Tu devrais de ton côté tâcher d’en faire autant car c’est aujourd’hui que Georges, Jeanne et leurs amis et amies vont voir l’arbre de Noël à la Porte Saint-Martin avec leur mère. La représentation commencera à deux heures précises et notre devoir à nous est de ne pas écourter leur plaisir. Je t’adore.
[Adresse]
Monsieur Victor Hugo
BnF, Mss, NAF 16402, f. 235-236
Transcription de Caroline Lucas assistée de Florence Naugrette
a) « laissé ».
b) « imaculée ».
c) « aux noms ».