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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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6 décembre [1841], lundi matin, 10 h. ½

Bonjour mon Toto bien-aimé, bonjour mon cher amour. Comment vas-tu ce matin, comment va le petit blessé [1] ? C’est donc fini à présent, mon Toto, vous ne voulez donc pas venir du tout vous reposera auprès de votre vieille Juju ? Je n’ose plus insister car c’est plus que ridicule, c’est humiliant. Vous êtes un méchant homme, entendez-vous ça, Toto ? Un vilain méchant, un mauvais Jacquot, taisez-vous ? Quant à votre sosie, il est au fond de son antre qui boude et qui grogne, quelque caresse et quelque avance qu’on lui fasse pour le dérider et l’adoucir. Quel aimable caractère ! Il paraît que cela tient à l’habit VERT [2]. Ia ia monsire matame, IL ÊDRE pien CHANTI, ZES bedits HANIMALS. Il faut le dire vite, à ne pas leur donner [illis]. Baise-moi, toi, et mords-moi mais VIENS. Sinon, c’est moi qui te mordrai et qui ne te laisserai pas en aller une fois que je te tiendrai.
Ma pauvre Clairette ne fait que de partir parce que Lanvin n’est pas venu plus tôtb à cause de sa femme et de sa fille. Cette dernière surtout a passé une très mauvaise nuit, ce pauvre homme avait l’air si hagard et si profondément découragé que j’en ai le cœur tout serré. Mon Dieu, quelle famille cruellement frappée !
Je t’aime mon Toto chéri, je t’adore mon amour. Viens m’embrasser le plus tôtb possible, pense à moi et aime-moi. Donne tes belles petites mains et tes chers petits pieds que je les baise. Donnez votre beau nez que je l’admire, donnez vos beaux yeux et votre belle bouche que je l’adore. Embrassez pour moi le petit malade et la petite sainte Dédé.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16347, f. 183-184
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « reposez ».
b) « plutôt ».


6 décembre [1841], lundi soir, 5 h. ¼

À la Saint Nicolas, les jours les plus bas, à la Saint Toto, les jours les plus beaux [3]. C’est dommage que cette fête-là n’arrive que tous les 36 du mois. Je vous attends toujours, Dieu sait jusqu’où cette belle patience me mènera ? Mais ce que je sais, c’est que je m’embête bien plus que cordialement.
On m’a apporté mon chapeau aujourd’hui et je ne l’ai pas payé comme vous vous en doutez peut-être. Il est très comme il faut et très simple et me fera au moins trois ou quatre ans, ainsi ne grognez pas. Je ne pouvais pas m’en dispenser. Je vous dirai au reste que tout payé, ma dépense, la blanchisseuse et les brodequins de Claire [4], il me reste trente et un sous. Maintenant, ajoutez que je ne vous vois pas, que je ne sais pas si vous m’aimez et ayez le front de me dire que je suis la plus riche et la plus heureuse des femmes. Osez le soutenir un peu pour voir.
L’atroce Jacquot n’a pas voulu sortir de sa cage, même pour déjeuner, et depuis tantôt il ne décolère pas. De quels êtres ravissants je suis et je ne suis pas entourée, c’est à en faire venir les jambes au cou d’un paralytique pour se sauver plus vite loin de CES LIEUX CHARMANTS. Arriveras-tu enfin, monstre de scélérat, que je voie un peu ton horrible farimousse ?

Juliette

BnF, Mss, NAF 16347, f. 185-186
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

Notes

[1François-Victor Hugo, que Juliette surnomme « le petit Toto » ou « l’autre Toto », est un enfant de santé très fragile et il est malade depuis trois jours. Il va développer une maladie pulmonaire très grave peu de temps après.

[2La couleur verte est une allusion à l’habit sur mesure porté par les membres de l’Institut de France lorsqu’ils sont en réunion solennelle, et Jacquot est un perroquet vert.

[3« À la Saint Nicolas, les jours sont les plus bas », ou « À la Saint Nicolas, les jours sont au plus bas » : vieux dicton populaire.

[4Voir la lettre de la veille au soir : Juliette parlait des brodequins de Claire « dans un état hideux » et envisageait de lui en acheter d’autres.

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