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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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26 janvier [1836], mardi matin, 10 h. ½

Bonjour mon adoré chéri, bonjour bien-aimé. J’ai été réveillée de très bonne heure par ces petites péronnelles qui ont commencé leur sabbata à 8 heures du matin. Après leur avoir donné des instructions à la sourdine, je me suis rendormie jusqu’à présent. Tout le temps de mon sommeil a été occupé par des rêves dans lesquels tu tenais la plus grande et la meilleure place.
Je t’aime mon cher Toto. Je suis très jalouse, ce que je t’ai dit hier au soir m’était inspiré par la jalousie la plus féroce, mais sois tranquille mon pauvre ange, de tous mes projets de vengeance si tu ne m’aimais plus, le seul que j’accomplirais ne ferait de mal qu’à moi, de honte à personne. Mais tu m’aimes. Je t’aime, nous serons longtemps heureux encore et je ne veux pas troubler mon bonheur par des prévisions qui ne se réaliseront jamais si tu es bien le Toto que je crois.
Vous êtes bien trop beau pour un homme mon cher petit Toto. Je suis honteuse de moi quand je me compare à vous. Vos belles mains douces et vos ongles roses avec mes mains calleuses et mes ongles cassés, vos dents de marbre blanc avec mes petits clous de girofles forment un contraste qui n’est pas à mon avantage. Mon cœur seul est plus beau que le vôtre parce qu’il contient plus d’amour.

J.

BnF, Mss, NAF 16326, f. 35-36
Transcription d’André Maget assisté de Guy Rosa

a) « sabat ».


26 janvier [1836], mardi soir, 8h. ¾

Mon cher petit homme, je vous écris un peu plus tard qu’à l’ordinaire parce que j’ai maintenant plus de vaisselle à laver et puisqu’il m’a fallu mettre Claire en train d’écrire à Mlle Watteville. Enfin mon cher bijou, m’y voici. Pauvre ange, tu as expliqué tantôt mieux que je ne l’aurais pu faire les causes de mon désespoir et de ma jalousie. Je te remercie, mon cher adoré, de ta patience d’ange, je t’en remercierais davantage si c’était possible. Quant à accepter la responsabilité de tes distributions de rôles au théâtre jamais je ne le ferai. Je ne veux pas avoir à me reprocher de sacrifier tes intérêts à mes jalousies tant que je ne les croirai pas plus fondées qu’à présent. Merci donc mon pauvre petit bien-aimé. Je suis plus satisfaite que tu aies eu l’intention de me sacrifier tes intérêts que si tu avais cédé à une exigencea de moi.
Je t’aime mon adoré, je voudrais que ma vie te soit bonne à quelque chose. Je souffre quand je crois que je te gêne en quelque chose. Je voudrais te paraître toujours belle, toujours aimable et toujours bonne et l’impossibilité de te faire au moins cette illusion me donne des accès de désespoir si affreux que je suis prête à me tuer. Voilà pourquoi mon pauvre bijou je suis si méchante et si laide.
Mais je t’aime. Je donnerais mon sang pour toi pour tous les tiens. Reviens vite, j’ai besoin de te caresserb. J’ai besoin de baiser tes mains.

J.

BnF, Mss, NAF 16326, f. 37-38
Transcription d’André Maget assisté de Guy Rosa
[Souchon]

a) « exigeance ».
b) « caressé ».

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