Paris, 28 sept[embre] [18]79, dimanche matin, 8 h.
Bonjour, mon grand, mon doux, mon ineffable, mon divin bien-aimé. Bénis-moi comme je te bénis, je t’adore de toute la foi de mon âme.
Il fait un temps admirable ce matin, qui me fait toute guillerette malgré la nuit un peu rude que j’ai passéea, heureusement elle est déjà bien loin et je n’y songe que pour me réjouir de cette belle matinée et avec l’espérance que tu as bien dormi toute la nuit et que peut-être tu dors encore.
Allons bon ! voilà le rabat-joie qui commence. « J’étais tournée vers l’ange et le démonb venait » [1]. Le démon cette fois ne me paraît pas trop redoutable, et pourtant qui sait ? Enfin, au petit bonheur et à la grâce de Dieu. Il n’en sera toujours que ce que tu voudras qu’il soit. Tant pis ! Une belle occasion d’ailleurs de me remplacer avantageusement et à peu de frais car la Dame en question ne demande aucun émolument : la table et le lit lui suffisent et encore elle est dans ses meubles auxquels elle tient. Elle est poète, elle t’adore et le reste à l’avenant. Elle a une voix sympathique, une bonne santé, des talents partout et l’habitude du monde, elle s’appelle Léonie de [Vitrac ?] veuve Lesage. Elle est en villégiature à Veules. Elle était sur ton passage quand nous sommes partisc [2]. Elle t’avait envoyé des vers, elle t’en envoie encore aujourd’hui. Elle s’offre à toi et te prie de lui accorder cette retraite honorable qui fera de sa petite aisance une vraie bonne fortune. Enfin c’est très tentant et mérite que tu en tiennes bon compte. Quant à moi qui suis à l’école de la sagesse depuis si longtemps je suis préparée à tout et à bien autre chose. Un mot, un signe, un rien et je plie bagage en moins de temps qu’il ne faut pour l’écrire. En somme puisqu’il faut que tout ait fin autant celle-là qu’une autre.
BnF, Mss, NAF 16400, f. 230
Transcription d’Apolline Ponthieux assistée de Florence Naugrette
a) « passé ».
b) « démont ».
c) « parti ».