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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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27 novembre [1841], samedi, midi ½

Je ne suis pas contente, mon petit Toto, je te le dis sérieusement et tristement. Depuis que tu as fini ton livre, tu n’es pas venu te reposer une seule fois auprès de moi [illis.]. Je sais bien que tu as encore ta préface à faire mais ce travail n’est ni plus important ni plus absorbant que le livre [1]. Même ainsi, ce n’est pas une raison. Vous ne m’aimez plus et vous me trouvez laide et vieille, voilà la vérité, n’est-ce pas ? Je vous aime moi, Toto, et je vous trouve beau et charmant comme le premier jour et davantage encore. Voilà la nuance qu’il y a entre notre manière de voir et d’aimer, la belle n’est pas pour moi comme vous voyez, méchant Toto.
Je continue à avoir mal à la tête, depuis un mois je crois que je n’ai pas eu une heure sans maux de tête. Cela ne contribue pas peu à me vieillir et à m’enlaidir, et à qui la faute ? Jour Toto, jour méchant Toto. Je voudrais bien ne plus vous aimer mais c’est bien difficile, pour ne pas dire impossible puisque toutes les atrocités que vous me faites ne parviennent pas même à me refroidir.
J’ai lu cette nuit de l’Internelle Consolacion qui ne m’a pas consoléea du tout [2]. Je n’ai plus rien à lire, mon Toto, et en attendant vos deux volumes, vous seriez bien gentil de demander à la bonne petite poupée [3] de me chercher les volumes de Michelet [4]. De mon côté, je lui ferai faire des petites affaires par Claire la prochaine fois qu’elle viendra. À vous, je vous ferai faire un manche à balai dont je vous caresserai les épaules. Je n’ai plus qu’un mois et 2 jours et demib pour avoir ma bonne petite lettre d’étrenne [5], mais Dieu sait quand j’aurai jamais votre petit buste et votre médaillon [6]. Ce hideux et stupide Barbedienne n’a pas l’air de s’en occuper beaucoup. J’ai beau vous prier et vous supplierc de m’y mener, vous ne le voulez pas et il est probable que j’en serai pour mes frais de désir et d’attente. Taisez-vous, vous êtes un méchant homme. Baisez-moi pour vous punir et vous faire enrager.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16347, f. 151-152
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « consolé ».
b) « jours et demie ».
c) « suplier ».

Notes

[1Hugo a terminé la rédaction du Rhin, à paraître en deux volumes. Il ne manque plus que la courte préface.

[2Le Livre de l’Internelle Consolacion est une version française de L’Imitation de Jésus-Christ, œuvre anonyme de piété chrétienne (fin du XIVe siècle ou début du XVe siècle). Juliette l’a réclamée à Hugo début novembre.

[4Juliette les a déjà réclamés le 16 novembre.

[5À l’occasion de la nouvelle année, Hugo écrit toujours à Juliette une lettre qu’elle conserve précieusement dans le Livre rouge, et elle aime faire le décompte des jours qui la séparent des cadeaux qu’il lui fait.

[6Juliette fait fondre par Ferdinand Barbedienne un buste de Hugo qu’elle recevra enfin le 29 novembre. Elle attend aussi de lui un médaillon contenant le portrait de son amant, mais le 20 novembre, elle redoutait qu’il ne fasse banqueroute. Depuis, elle demande donc instamment à Hugo de la mener à la fonderie.

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