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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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9 novembre 1841, 11 h. ¾

Bonjour mon cher bijou d’homme. Bonjour toi, bonjour vous. Comment trouvez-vous votre portrait ? Frappant, n’est-ce pas ? Eh bien je vous assure que vous aurez des giffes à indiscrétion si vous continuez ce système d’agaceries mirobolantes à toutes les femelles de Paris. Prenez garde surtout au gilet blanc.
Songez que je ne vous perds pas de vue.
Je vous écris de mon lit parce qu’il fait trop froid pour rester assise sans feu et j’ai besoin d’économiser mon bois ou plutôt ma bûche fendue en quatre. En attendant mon déjeuner je vais commencer à copier et puis je finirai ce soir. Ia ia monsire matame il fait un froid de chien. Vous êtes joliment revenu encore, vous. Il n’y a que les jours de blanchisseuse qui vous attirent. Tout le reste de la semaine vous vous donnez bien de garde de faire une seule apparition NOCTURNO MATINALE comme on dit à l’Académie. Je ne suis pas trop votre dupe et rien ne m’échappe comme vous voyez ; taisez-vous, abominable homme, taisez-vous et embrassez moi, ça vaudra bien mieux. Je n’ai plus qu’un mois et 21 jours c’est encore bien long mais ça se tire peu à peu. Enfin dans un mois et 21 jours je serai en possession de ma chère petite boîte à volets. En attendant pourquoi ne faites-vous pas prendre votre malle et votre tapis puisqu’ils sont prêts. Baisez-moi, scélérat et regardez-vous quand vous faites le gentil. Vous êtes bien drôle, n’est-ce pas, et bien RIDICULE. Je vous conseille d’abandonner ce genrea qui me va si mal et vous sied si peu.

Collection particulière (vente ebay août 2018)
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen

a) « ce ce genre ».


9 novembre [1841], mardi soir, 6 h. ¼

Je voudrais bien savoir où vous alliez, frisé et barbifié comme un chérubin tantôt ? Pour un homme occupé de travail comme vous l’êtes, vous me paraissez bien préoccupéa de votre FARIMOUSSE et de votre toilette [1]. Tout cela n’est rien moins que naturel et je crois que je peux faire jouer mes griffes à coup sûr. Aussi ferai-je ce soir.
En vous attendant, je vais copier à mort. Je ne veux pas que Mamzelle Didine mette quoi que ce soit dans mon OUVRAGE ou je vous fiche double roulée. Vous entendez ça, je ne le veux pas, je ne le veux pas sous aucun prétexte, quand je devrais crever [2]. Ia ia monsire matame, il est son sarme.
Je n’ai plus qu’un mois vingt et trois quarts de jours pour….. etc [3]. Dis donc, tu sais que je n’ai pas voulu le dire à Claire pour lui en laisser la surprise ? Comme c’est délicat de ma part, hein ? Il n’y a que moi pour avoir de ces raffinementsb-là.
À propos je veux, j’exige que vous me conduisiez ce soir chez Barbedienne. Je le veux, absolument, impétueusement et impérieusement, ainsi préparez-vous à cette démarche ambitieuse ce soir même ou préparez-vous à la mort [4]. Je viens d’écrire à Eulalie afin qu’elle tienne le paletot noir tout prêt à emporter quand Suzanne ira le chercher demain ou après. Vous voyez qu’on fait tout ce que vous voulez. C’est un bon exemple que je vous donne et que vous devriez bien suivre envers moi, je ne me ferais pas tant DE MAUVAIS SANG. Baise-moi, monstre, et SOURIS-MOI.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16347, f. 101-102
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « préocupé ».
b) « rafinements ».

Notes

[1Juliette déplore le soin inusité que Hugo apporte à ses tenues vestimentaires, consécutif à son élection à l’Académie française : voir la lettre du 26 décembre 1841.

[2Juliette a l’habitude de recopier les œuvres de Hugo et elle est, dans cette tâche, souvent en concurrence avec Léopoldine Hugo.

[3Juliette parle d’une petite boîte à tiroirs qu’elle réclame depuis le début de l’année, et que Hugo a promis de lui offrir pour le nouvel an. Cela fait quelque temps qu’elle fait ainsi le décompte des jours qui la séparent encore de ce cadeau tant attendu qu’elle recevra finalement en avance le 19 novembre.

[4Juliette fait fondre par Ferdinand Barbedienne (industriel français connu pour sa fonderie de bronze de reproduction d’art), un buste de Hugo qu’elle recevra enfin le 29 novembre. Dans sa transcription d’une lettre de novembre 1841, Jean-Marc Hovasse émet l’hypothèse qu’« il s’agit très vraisemblablement d’un buste en bronze, lauré ou non, par David d’Angers, fondu par F. Barbedienne. Certains laurés sont datés de 1842, d’autres, sans laurier, sont sans date ».

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