29 mai [1841], samedi soir, 6 h. ¾
J’ai voulu finir d’arranger mes armoires, mon amour, et puis copier ce que tu as écrit tantôt [1] auparavant de t’écrire. Je n’ai pris que le temps d’écrire à la mère Lanvin pour y envoyer Suzanne. Le mari ira demain la chercher [2]. Je n’ai pas même pris le temps de me débarbouiller, mon adoré, pour te donner plus vite ma pensée, mon cœur, mon âme dans ces sept lettres : je t’aime. J’ai eu aussi la visite de Mme Laporte qui venait savoir si j’avais été contente de la toilette de ma fille, en même temps elle m’apportait son mémoire qui se monte, pour ma fille seulement, à 72 F. sur lesquels il n’y a pas un sou à diminuer car tous les prix sont très modérés et très consciencieux. J’aurai en outre la blanchisseuse à payer, le cirage et autres menus frais de ce jour solennel [3]. L’argent du petit bandeau [4] y passera tout entier mais, mon cher bien-aimé, il n’y avait pas moyen de faire autrement ni de faire moins car elle n’avait même pas de souliers blancs. D’ailleurs, mon adoré, je suis prête à vendre tout ce que j’ai pour nous aider à franchir ce passage si rude et devenu encore plus difficile par la combinaison de ta réception [5] et de la Première communion. Je suis toute prête à mettre comme cheval de renfort sur cette lourde dépense que tu tires à toi tout seul tout ce que j’ai et encore autre chose que j’aurais en cherchant bien.
Je t’aime, mon Toto chéri. J’ai eu la faiblesse de mettre du camphre dans toutes les poches de vos paletots et même dans le gousset de montre de votre gros pantalon gris [6] : on n’est pas plus JUJU que ça. Aussi j’espère que vous m’en récompenserez par beaucoup d’amour. Je marquerai votre foulard en toutes lettres ce soir [7] mais auparavant je vais me mettre un peu d’eau sur la figure, je ferai votre tisanea et ma lampe. Je suis hideuse mais je vous aime, je suis lasse mais toutes mes armoires sont poivrées et camphrées et j’ai copiéb votre manuscrit, je suis sale comme un chien perdu mais j’ai l’âme blanche et je vous adore.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16345, f. 201-202
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette
a) « tisanne ».
b) « copie ».