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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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26 avril [1841], lundi matin, 10 h. ½

Je t’écris levée, mon adoré, avec toutes mes fenêtres ouvertes pour laisser entrer la bonne chaleur et le bon printemps dans ma chambre. Bien entendu que Cascarinet n’y est pas car il aurait bientôt pris sa volée pour ne plus revenir.
Comment vas-tu mon cher bien-aimé adoré, comment vont tes pauvres beaux yeux ? J’ai reçu une lettre de la femme de mon père tout à l’heure [1]. Je l’ai ouverte, mon bien-aimé, dans l’impatience de savoir comment il allait, d’ailleurs je t’avais prévenu que je lui écrirais. C’est ce que j’ai fait hier, je lui ai demandé en même temps si le jour de la fête du roi [2] on pouvait entrer à l’infirmerie et si les heures ne seraient pas changées dans le cas où tu pourrais nous y mener Claire et moi ; il paraît que rien ne sera dérangé, ainsi mon cher bien-aimé, si tu peux nous y conduire tu feras bien plaisir à ce pauvre vieillard qui garde le lit de misère depuis quatre grands mois.
Je t’aime mon adoré chéri. Je voudrais bien fourrer mon nez jusqu’à la garde dans l’autre moitié de votre discours [3] mais je suis si bien dressée que je ne me permettrais pas cela. Ce que je ferai sans vous attendre par exemple, ce sera de commencer à copier de ma belle belle écriture la première partie, ça ne m’est pas défendu ça. Baisez-moi, vieux scélérat, je vous adore.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16345, f. 91-92
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette


26 avril [1841], lundi soir, 4 h.

Hélas ! hélas ! mon bichon, hélas ! hélas ! est parti, ou plutôt un affreux gamin grêle et barbouillé est venu le réclamer avec la plus impétueuse autorité. C’était bien au reste le pigeon que je croyais être celui du no 5. Bref, je l’ai rendu avec beaucoup de courtoisie et de nez de carton [4] car je m’y étais déjà fort attachée et, jusqu’à ses petites habitudes de cochon, tout m’était devenu cher. C’est fini il n’y faut plus penser. Les oiseaux ne prospèrent pas chez moi, je crois que je ferai bien d’y renoncer à tout jamais. Le portier a fait le MORT pendant tout ce temps-là et ne s’est pas montré. J’ai dit à Suzanne de ne pas lui demander l’argent mais que s’il le rendait de lui-même je le lui donnais à elle. Mais je ne le crois pas susceptible de cet excès de délicatesse, c’est 15 sous de jetés par la fenêtre plus 3 sous de grainesa. C’est stupide et j’aurais dû m’attendre à cela et ne pas acheter ce pauvre bichon. Enfin c’est fait, n’y pensons plus, je vais copier comme un lion pour me venger.
J’ai taillé ma plume, j’ai mis de l’encre dans mon encrier, tout est prêtb. Je vais me plonger jusqu’aux yeux dans votre discours mais ce soir je ne vous accorderai pas le plus petit sursis que vous ne m’ayez lu la seconde moitié. En attendant, je vous baise et rebaise.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16345, f. 93-94
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « graine ».
b) « près ».

Notes

[1L’oncle de Juliette, René-Henry Drouet, est hospitalisé aux Invalides, très malade, mais sa seconde épouse, une dame Godefroy, lui donne des soins et envoie régulièrement par lettre de ses nouvelles à Juliette qui a reçu d’elle, le 5 février, « une permission de le voir tous les jours de midi à trois heures. »

[2La célébration officielle de la fête de Louis-Philippe a lieu le 1er mai, jour de la Saint Philippe, et à cette occasion sont préparés des illuminations et des feux d’artifice.

[3Victor Hugo a été élu le 7 janvier 1841 à l’Académie française, et sa grande cérémonie de réception, à l’occasion de laquelle il doit prononcer un discours, est prévue pour le 3 juin 1841. L’échéance approchant, le poète y a consacré tout son temps depuis le 19 mars et quinze jours auparavant, le 11 avril, il en a lu la première partie à Juliette.

[4Nez de carton : ici, déception.

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