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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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21 avril [1841], mercredi matin, 8 h.

Bonjour mon cher bien-aimé, bonjour mon amour bien-aimé. Comment vas-tu mon petit homme chéri ? Comment va ton rhume, comment vont tes yeux ?
Je m’étais misa dans la tête (dans la tête c’est dans le cœur que je voulais dire), que tu devais venir te reposer auprès de moi ce matin, de sorte que le moindre petit bruit que j’entendais me réveillait. C’est ce qui fait que, ne pouvant pas dormir depuis une heure à cause de l’emménagement des futurs mariés au-dessus de ma tête [1], j’ai pris le parti de faire ouvrir mes fenêtres et de me lever tout à l’heure. D’ailleurs, c’est tantôt que le médecin vient [2] et je ne serais pas fâchée que mon ménage fût fait d’ici là. En attendant, je vais me peigner et me bichonner car si j’entre en matière demain et que cela m’entraîne à cinq ou six mois de maladie compliquée, je veux avoir pris un peu à l’avance quelque provision de coquetterie et de propreté. Ia ia monsire matame, il est son sarme. Je suis donc chargée de déguster les médecines et selon qu’elles me donneront la colique et la diarrhéeb vous vous sentirez joyeux et guéri. C’est un nouveau progrès dans l’application des médecines qui n’est pas sans charme, je trouve, êtes-vous de mon avis ? Baisez-moi cher bien-aimé, baisez-moi mon amour adoré, et donnez-moi tout de suite votre rhume et vos beaux yeux que je les guérisse avec du baumec de mon cœur. Je t’aime toi, je t’adore vous.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16345, f. 73-74
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « mise ».
b) « diarhée ».
c) « beaume ».


21 avril [1841], mercredi soir, 4 h. ¾

J’ai vu M. Triger qui m’a de nouveau expliqué l’ordre et la marche des cérémonies et refait une ordonnance car j’ai perdu la première. Il faut attendre que le temps soit au beau et qu’il ne fasse plus froid pour commencer : d’abord une médecine pour ouverture, ensuite du sirop et de la tisanea trois fois par jour, puis des frictions soir et matin et puis pour bonbons des pastilles sulfureuses. Tout cela jusqu’au mois d’octobre prochain avec la perspective de recommencer pendant deux mois au printemps prochain [3]. Il va sans dire que je lâcherai le régime dès que nous serons en route car morte ou vive, il me faut mon cher petit voyage annuel ou je donne ma démission de TOUT [4]. Là-dessus je n’entends pas la plaisanterie, entendez-vous cher petit Toto ?
J’ai mon pigeon, bien maigre, bien crotté et bien triste, je ne sais pas s’il pourra s’habituer à la maison et encore moins à la cage. J’en serai quitte pour lui donner la liberté comme les anciens chrétiens qui rachetaient les prisonniers. J’aurai délivré le mien du plus odieux de tous les esclavages, la marmiteb de mon portier à laquellec il était dévolu dans un temps très court, et tout cela avec la somme énorme de 15 sous. Le pauvre petit est moins CHAIR que le prix [5].
Je viens d’écrire à mon affreux épicier et demain en allant chez M. Suply l’apothicaire on y passera pour finir de le payer. J’ai écrit aussi au bottier mais lorsque tout sera payé il ne me restera rien, trop heureuse encore s’il y a assez. Je te ferai le compte de l’argent ce soir et tu verras toi-même. En attendant, je te baise sur toutes les coutures et je t’aime de toute mon âme.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16345, f. 75-76
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « tisanne ».
b) « marmitte ».
b) « auquel ».

Notes

[1Les précédents locataires ont déménagé le jeudi 15 avril au matin, épisode que Juliette a décrit avec humour en filant une métaphore musicale.

[2Juliette souffre souvent de maux de ventre ou de tête violents et va donc commencer un traitement, prescrit par le docteur Triger, qui va durer plusieurs mois.

[3Juliette souffre souvent de maux de ventre ou de tête violents et va donc commencer un traitement, prescrit par le docteur Triger, qui va durer plusieurs mois.

[4Depuis 1834, Hugo et Juliette ont pris l’habitude d’effectuer un voyage de quelques semaines ou mois pendant l’été et le printemps. L’année précédente, ils ont visité les bords du Rhin et la vallée du Neckar. Elle attend toute l’année ce moment qui est le seul où elle peut vivre « de la vraie vie » seule avec le poète, mais malheureusement, en 1841, Hugo est trop occupé par la rédaction monumentale de ses souvenirs de voyage, Le Rhin, et leur voyage annuel n’aura pas lieu, au grand désespoir de Juliette.

[5Voir Cascarinet et la lettre du dimanche 18 avril au matin.

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