1er mars [1841], lundi soir, 9 h. ¼
Vous mériteriez, mon cher scélérat, que je ne vous écrive pas ce soir pour vous apprendre à faire le boudeur comme tantôt. Que je vous y rattrape encore et je vous promets de ne pas vous donner de lettre pendant 15 jours. Donnant donnant, voilà mon grand système à moi.
Je viens de finir mes comptes. Que le diable les emporte, je les ai recommencésa plus de vingt fois. J’y trouve un déficit de 22 F. 6 sous, probablement dans tous les triquemaques d’argent. Tu marqueras que je t’ai donné etc. Et puis je ne comprends pas, je mets au hasard et voilà comme y se trouve des déficits de 50 F. à mon avantage quand il reste moins d’un sou dans la caisse et comment j’ai des déficits de 22 F. 6 à mon désavantage quand je ne possède le plus petit liard au-dedans ni au-dehors de la susdite caisse. Ceci n’est rien moins qu’amusant et m’a donné un mal de tête sterling, déjà ébauché il est vrai par les torrents de larmes que j’ai versésb tantôt. Je n’en suis pas moins une femme très heureuse. Ia, ia monsire matame, il est son sarmes. OUI FILE ? Oui file PERZÔNES [1] ? Là il être la blasse des CHATS-MOINES [2]. Voime, voime, fort heureuse. Quel bonheur !! Jour Toto.
J’ai joliment mal à la tête, je vais peut-être me coucher dès que j’aurai fini de griffonner cette feuille de papier. Voici plus de huit jours que je ne peux pas me réchauffer. J’ai un froid intérieur qui me fait mal, je ne sais d’où cela provient. J’ai cependant ma belle robe rouge [3]. Je ne quitte pas le coin de mon feu, je ne sais vraiment plus quoi faire pour me dégourdir un peu. Peut-être que si tu reviens cette nuit, cela opérera-t-il merveilleusement bien. Mais je n’ose ni t’en prier, ni espérer que tu viendras, quel que soit le désir ou le besoin que j’aurais de ta chaleur et de ton amour. Tu es un gaillard beaucoup moins prodigue de tes faveurs envers moi qu’il ne le faudrait, aussi je me borne à te désirer sans t’espérer beaucoup.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16344, f. 195-196
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette
a) « recommencé ».
b) « versé ».