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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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30 août [1836], mardi matin, 8 h. ¼

Bonjour mon cher petit Toto, tandis que vous m’oubliez je pense à vous avec amour, pendant que vous vous amusez je continue ma petite besogne d’amour à laquelle vous ne faites plus la moindre attention et dont vous ne me tenez aucun compte. C’est avec tristesse que j’observe depuis longtemps le changement survenu dans votre amour. Il y a des moments, ceux de votre absence, où je me demande s’il ne vaudrait pas mieux rompre une liaison encore pleine d’amour et d’illusions, de mona côté, que d’attendre que vous l’ayez tarieb et dépouillée par votre indifférence ? Je ne veux pas vous faire de phrases inutiles : mais vous savez que je vous aime, que depuis quatre ans bientôt il n’y a pas un seul jour où je ne vous ai donné des preuves de cet amour sans borne ? Eh bien, mon cher Victor, si vous m’aimez moins comme tout semble me le prouver, dites-le moi à présent. J’aurai le courage de supporter notre séparation si je crois que vous en emporterez quelques regrets et quelques souvenirs de bonheur. Tandis que je mourrais si jamais vous me laissiez après avoir épuisé tout ce qui vous reste d’amour pour moi.
Ce que je vous dis, mon cher bien-aimé, je le sens malheureusement et je le crois vrai. Si cela n’est pas pourquoi vous servez-vous des apparences pour me tourmenter ? Si cela est pourquoi ne pas me le dire tandis qu’il en est temps encore ?
Je suis triste, votre absence me fait toujours cet effet-là. Mais je vous aime néanmoins et plus encore si c’est possible.

J.

BnF, Mss, NAF 16327, f. 278-279
Transcription de Nicole Savy

a) « mon » répété par erreur.
b) « tari ».


30 août [1836], mardi soir, 9 h. ½

Je ne peux pas m’empêcher d’être triste, mon cher bien-aimé, en pensant que tu désapprouves la démarche que je vais faire demain. C’est la première fois que nous nous trouvons autant en opposition dans nos opinions, ou plutôt c’est la première fois où je veux faire une chose qui n’a pas ton assentiment. Car pour l’avenir, je crains autant que toi cette démarche et j’ai d’Harel la même défiance et le même dégoût que toi. Mais je ne peux pas m’empêcher de la faire, cette démarche, il faut que je la fasse, advienne que pourra. Il me semble que je supporterai plus tranquillement la nouvelle pièce que tu vas donner aua Français, moi étant engagée et forcée de m’occuper ailleurs [1].
Je t’aime mon cher Victor, il n’en est pas de même de toi et c’est ce qui détermine encore plus ma résolution. Tu crois m’avoir tout dit ou m’avoir tout prouvé quand tu me donnes l’argent de tes nuits. Mais pour moi qui saisb jusqu’à quel point tu es honnête et dévoué, cela ne me prouve rien de plus que ton dévouement. Et ce n’est pas assez pour un amour comme le mien. Je veux de l’amour ou rien. Voilà ce que tu as fait dire avec raison au pauvre Gilbert [2]. Eh bien ! moi aussi : je veux de l’amour ou rien.
Je sens en même temps que je me plains que je te fatigue, c’est encore là un indice certain d’indifférence. Tout ce que je te dis te fatigue lorsque cela ne t’irrite pas. Je ne sais comment faire pour te faire savoir que je m’aperçoisc de ton indifférence, car je redoute encore plus que toi les mouvements d’impatience que tu laisses échapper. Enfin mon pauvre ami c’est bien triste, très triste de m’aimer moins. C’est comme si tu ne m’aimais pas car je n’estime l’amour qu’autant qu’il est entier. Une fois qu’il commence à se vaporiser ce qui en reste ne vaut pas la peine d’être conservé. À quoi bon attendre que le vase soit tari pour le renverser ? Oh je souffre mon Dieu ! Oui tu l’as dit la solitude est une triste conseillère et encore une plus triste compagnie.

J.

BnF, Mss, NAF 16327, f. 280-281
Transcription de Nicole Savy

a) « aux ».
b) « sait ».
c) « m’apperçois ».

Notes

[1En réalité, Hugo ne se mettra à l’écriture d’une nouvelle pièce que deux ans plus tard, avec Ruy Blas qui fera l’ouverture du Théâtre de la Renaissance. Juliette, engagée à la Comédie-Française, n’y est jamais distribuée.

[2Juliette, qui ne rêve alors que de revenir au théâtre, se rappelle fort bien le rôle de Jane qu’elle tenait dans Marie Tudor. Mais ici c’est le rôle de Gilbert qu’elle prend. Gilbert, le fiancé de Jane, ne se contente pas de la gratitude qu’elle exprime pour le soin qu’il a pris d’elle et les nuits passées, comme Victor, à travailler pour gagner de l’argent pour elle. « De la reconnaissance, toujours de la reconnaissance ! oh ! je la foule aux pieds, la reconnaissance ! je veux de l’amour ou rien », répond-il à Jane qui refuse de lui dire qu’elle l’aime (Journée I, scène 3).

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