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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Guernesey, 21 novembre [18]63, samedi matin, 7 h. ¾

Tu abuses de mon amour pour me faire souffrir sans autre motif que celui d’essayer jusqu’où peut aller ma résignation à tes caprices. Je te pardonne jusqu’au moment où mon amour humilié relèvera enfin la tête pour ne plus la courber et même la retourner jamais de ton côté. J’espère que tu as passé une meilleure nuit que la mienne et j’attends avec impatience l’explication du prétexte de froideur que tu m’as témoignée hier au soir avec autant de méchanceté que de persistance. Je sais qu’il est à l’ordre du jour dans votre GROUPE de se moquer des roucoulements, des fidélités et des sensibilités EXAGÉRÉES et que vous êtes tous en proie au delirium féminin mais moi qui suis de mon âge et dans ma raison je ne veux pas qu’on se moque de moi ni qu’on joue de mon cœur comme d’un accordéon de vingt-cinq sous. Cette prétention je l’ai absolument et résolument. Ce n’est pas la première fois que je te le dis mais peut-être sera-ce la dernière car je suis blessée jusqu’à l’âme et dans ce que j’ai de plus immaculéa en moi, mon amour. Ce n’est pas une menace, dont tu ne te souciesb guère au fond, c’est l’avis honnête et sincère d’une femme qui ne veut pas être méconnue dans ce qu’elle a de plus sacré.

J.

BnF, Mss, NAF 16384, f. 258
Transcription de Gérard Pouchain

a) « immaculée ».
b) « soucie ».


Guernesey, 21 novembre [18]63, samedi midi

Ceci est la vraie RESTITUS de mon cœur, mon pauvre doux éprouvé. Je te supplie de considérer l’autre comme le cri strident d’une douleur que tu ne connaîtras jamais par moi, l’amour méconnu, ou qui se croit méconnu, ce qui est la même chose dans le moment où l’on souffre de ce hideux mirage. Pauvre cher adoré, loin de me plaindre de ma froideur et de ta préoccupation j’aurais dû te pénétrer de consolation, de tendresse et d’amour, des yeux, des lèvres, du cœur et de l’âme. C’est moi qui suis la coupable de n’avoir pas deviné ton chagrin et c’est toi qui dans ta bonté divine me demandesa pardon de n’avoir pas été compris ! Peut-on pousser plus loin la bonté et la sainteté de l’amour ? Je ne le crois pas car il n’y a pas un autre être créé aussi grand, aussi sublime, aussi entièrement radieux et divin que toi. Dieu t’éprouve en ce monde [illis.] de ta nature angélique et pour faire voir aux autres hommes la différence qu’il y a entre toi et eux. Je voudrais baiser tes pieds, mon pauvre affligé. Je voudrais que mes larmes soient les gouttes d’essence qui te fortifient et que mes baisers soient le baumeb de ton âme. Je voudrais te sourire pour effacer de ton souvenir les choses tristes qui y sont. Je voudrais t’emporter jusqu’au ciel loin de toutes souffrances. Je t’aime.

BnF, Mss, NAF 16384, f. 259
Transcription de Gérard Pouchain

a) « demande ».
b) « beaume ».

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