Guernesey, 27 novembre 1855, mardi après-midi, 2 h. ½
Je m’aperçois que j’ai pris mon papier à l’envers, mon cher petit homme, mais par esprit d’économie je n’en poursuis pas moinsa mon gribouillis qui lui-même n’aura ni queue ni tête selon sa louable habitude. Comment vas-tu, mon cher bien aimé ? Je suis sortie une couple d’heure avec les petits Préveraud, pensant bien être revenue avant toi et je ne me suis pas trompée, heureusement car je ne me serais pas pardonnéeb de t’avoir manqué d’une seconde à mon planton habituel. J’ai laissé les Préveraud dans un magasin et je suis entrée seule au logis. Chemin faisant, j’ai rencontré Mme TÉLÉKI fleurie comme une mariée. Voilà les seuls incidents remarquables de notre promenade. J’ai trouvé Suzarde assez souffrante. Voilà déjà plusieurs jours qu’elle se plaint ; cependant je crois que cela n’a pas la moindre gravité si j’en juge par ce que j’éprouve moi-même : mal au cœur, colique et courbatures. Cependant je lui conseille d’aller se coucher et de se tenir chaudement. J’ai une lettre de la mère Lanvin mais cela ne me tire pas d’inquiétude ni d’embarras pour mes affaires. Décidément cette petite péronnelle de Julie [1] se moque de moi. Je vais écrire à Mme Montferrier pour la prier de charger son mari de trouver cette petite sotte et de savoir un peu ce que cela veut dire. En attendant, je bisque, je rage et je t’aime jusque par-dessus ta maison.
Juliette.
BnF, Mss, NAF 16376, f. 376-377
Transcription de Magali Vaugier assistée de Guy Rosa
a) « moins moins ».
b) « pardonné ».