Jersey, 11 mai 1855, vendredi matin, 6 h. ½
Bonjour, mon cher petit bien-aimé, bonjour et bonheur, je t’aime et vous ? Je viens de vous acheter deux soles en viea à mon voisin le pêcheur. J’espère que votre brahmanismeb ne vous empêche pas d’y faire honneur ce soir et de les dévorer à belles dents. Quant à moi, le désir de vous faire faire un bon dîner me rend féroce. C’est si charmant de te voir manger de bon appétit et avec de si belles dents, que c’est une vraie fête pour moi chaque fois que tu dînes chez moi. Mais tu serais bien gentil de venir ce matin et de m’apporter mon petit REMPLAÇANT que j’attends avec toute l’impatience de mes regrets, pour la perte volontaire, hélas ! de son prédécesseur [1]. Regrets, que j’aurai toujours, quelles ques soient les généreuses compensations que tu me donneras car je pourrai toujours me faire le reproche d’avoir par ma faute diminuéc le nombre de mes précieuses reliques puisque celle que j’ai donnée me manquera toujours. Du reste, cette leçon ne sera pas perdue et il fera chaud quand je me risquerai à faire des galanteries aux ours. En attendant je bisque, je rage et je vous aime. Dormez et rêvez de moi si vous l’osez. Moi je vous adore les yeux tout grands ouverts.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16376, f. 195-196
Transcription de Magali Vaugier assistée de Guy Rosa
a) « en vies ».
b) « brahminisme ».
c) « diminuer ».