Vendredi 6 avril 1855, 3 h. ½ après-midi
Asplet [1] sort de chez moi, mon cher petit homme. Il était venu me proposer d’aller poser aujourd’hui, tout à l’heure, mais comme tu n’étais pas prévenu et qu’il fallait m’y rendre seule à pied de mon côté dans une rue inconnue, moi qui ai tant de peine déjà à retrouver les endroits que je connais le mieux je n’ai pas accepté la proposition dans les conditions ainsi posées. Il m’a dit en s’en allant qu’il me ferait savoir lundi ou mardi s’il pouvait disposer de l’après-midi du mercredi et m’envoyer une voiture dans ce cas-là. De cette façon tu pourrais être prévenu la veille et tu tâcheras de m’assister dans cette opération douloureuse pour laquelle le pauvre Philippe de son côté n’a pas plus de goût que moi. Telle est la situation : pénible. J’espérais te voir ce matin, mon tout bien-aimé et j’en aurais profité pour te demander s’il te convenait et s’il était CONVENABLE de faire faire six mouchoirs de batiste garnis de Valenciennes [2] à ta femme et à ta fille, six pour chacune, en priant Mlle Allix de faire dessiner leur chiffre par Charles et de les broder elle-même [3]. Bien entendu que je ne lui ferai la proposition qu’après ton autorisation. Voici comment je me trouve en position de t’offrir ces mouchoirs. Ce sont des chemises qui n’ont été mouillées qu’une ou deux fois mais dont la coupe a été si exagérée qu’il m’était impossible de me les approprier. Maintenant aussi, plutôt que de les laisser perdre, j’ai pris le parti d’en faire vingt-quatre magnifiques mouchoirs à ourlets à jour tout autour et je serais trop heureuse de partager avec ta maison. Si cela ne te déplaît pas, mon intention serait d’en donner six à Mlle Allix pour sa façon de broder. Qu’en dis-tu et surtout que dis-tu de ce gribouillis qui dit tout, excepté ce que me tient le plus au cœur ? Je t’adore.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16376, f. 141-142
Transcription de Magali Vaugier assistée de Guy Rosa