Guernesey, 7 juin 1862, samedi matin, 7 h. ½a
Bonjour, mon bien-aimé, bonjour, de toute mon âme : comment vas-tu ce matin et comment la nuit ? Si c’est bien, je suis heureuse et je t’aime sans aucun souci que celui de savoir si tu m’aimes un peu de ton côté, mais ce que je te dis là n’est que pour te forcer à me dire la chose la plus douce que je puisse entendre car au fond de mon cœur, je suis sûre que tu m’aimes. Je t’aime tant et si uniquement, moi, qu’il faut bien que tu me le rendes un peu ne fût-ceb que par probité d’âme. Cher adoré, je t’écris toujours la même chose et avec les mêmes mots, ce qui doit te faire un peu l’effet du pâté d’anguille [1], mais c’est que pour moi, le thème JE T’AIME est sans variantes et la chose et le mot sont tellement inséparables qu’il m’est tout à fait impossible d’introduire rien entre les deux. Mon cœur et mon esprit, mon esprit et mon cœur ne font qu’un : l’amour. Cela n’est pas amusant mais c’est bon et solide et durera autant que nos deux âmes, c’est à dire toute l’éternité.
Juliette
BNF, Mss, NAF 16383, f. 146
Transcription de Camille Guicheteau assistée de Guy Rosa
[Souchon]
a) À cet endroit, sur le manuscrit, deux croix « XX » qui ne semblent pas de la main de Juliette Drouet.
b) « fusse ».