Guernesey, 1er mai [18]63, vendredi matin, 8 h.
Bonjour, mon cher petit l’éveillé, bonjour et vive l’amour et son auguste famille Toto et Juju ! Vous me paraissez bien guilleret ce matin autant que mes yeux peuvent distinguer votre pantomime à distance [1]. J’espère que tu as bien dormi, mon cher petit homme, et que ta santé générale ne laisse rien à désirer pas plus que la mienne ce matin. Le temps est froid et vantard mais tonique et sain. Aussi je compte bien en profiter tantôt avec toi et tant que les jambes pourront me porter. Je viens de mettre une poule à couver pour faire plaisir à Suzanne ; et, d’après la tradition du nombre impair des œufs, je lui en ai mis, à ma poule, les 3, chiffre fatidique pour voir ce que cela produira. Il faut 21 jours d’incubation ce qui, si je compte bien, devra éclore le jour même de ma FÊTE. Ce sera la seconde fois que le hasard de la mise en couvée coïncide avec ce jour solennel, MA FÊTE ! Cela doit vouloir dire quelque chose ? Probablement que je vous donnerai plusieurs nichées d’amours et [d’anges ?] au ciel. J’en accepte [l’augure ?] et je fais d’avance mes layettes brodées d’étoiles, cousues de rayons et ouatéesa de toutes les tendresses de mon âme. En attendant, je fais couver une poule et je croque le marmot de l’embêtement pendant votre absence, c’est-à-dire à peu près toute la journée, ce qui prouve que ce marmot a la vie dure comme toutes les choses [ennuyeusesb ?] de ce monde. Tout cela est bête comme choux mais c’est ma qualité, à moi, d’être bête, malheureusement le défaut de cette qualité m’a manqué complètement ce qui n’est pas juste, à moins que ce ne soit pour te servir de contrepoids.
BnF, Mss, NAF, 16384, f. 112
Transcription de Chantal Brière
a) « ouattées ».
b) « ennuieuses ».