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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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18 décembre [1844], mercredi matin, 11 h. ½

Bonjour mon petit Toto chéri ! Bonjour, mon cher amour bien-aimé, bonjour comment que ça va aujourd’hui ? Tu n’as pas d’Académie aujourd’hui. Est-ce que tu ne viendras pas dans la journée ? Hier je t’ai attendu et tu n’es venu que le soir très tard. Dieu quelsa absurdes gribouillis je fais. Je dis toujours la même chose. Je suis comme une cloche. Soit qu’elle sonne le matin à midi ou le soir c’est toujours : din don din don din don. Il est vrai que tu aimes cet instrument harmonieux mais ce n’est pas une raison pour que tu aimes les femmes stupides, au contraire. Je suis vraiment très embarrassée et je donnerais la moitié de ce qui me reste à vivre de grand cœur pour savoir te dire moins bêtement combien je t’aime. Si tu n’es pas trop occupé tantôt voudras-tu me mener acheter le parapluie de ma pauvre Péronnelle [1] ?
C’est la saison ou jamais. Je voudrais pouvoir le lui envoyer ou le lui porter moi-même avant le jour de l’an. À propos de jour de l’an je ne sais pas si tu te souviens que tu as promis à Mme Luthereau la Notre-Dame illustrée depuis plus de quatre ans ? Je ne sais pas trop comment tu feras pour ne pas la lui donner cette année. Quant à moi cela m’embarrassera beaucoup. Pauvre amour bien-aimé, je suis toujours après toi : donne-moi, fais-moi, viens bien vite, je ne sors pas de ces trois impératifs. Il est vrai que tu n’en prends qu’à ton aise et quelquefois pas du tout c’est ce qui me force à recommencer si souvent. Tant pire pour toi tu n’as que ce que tu mérites. Baise-moi pour la peine. Encore, encore, encore.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16357, f. 163-164
Transcription d’Yves Debroise assisté de Florence Naugrette

a) « quelles ».


18 décembre [1844], mercredi soir, 7 h. ¼

Tu veux que je sois gaie, mon Victor bien-aimé, et tu me laisses toujours seule. Est-ce que c’est possible ? Tout ce que je peux faire, en me raisonnant beaucoup et en faisant tous mes efforts, c’est de ne pas me trouver très malheureuse. Je suis sûre que tu es sorti toute la journée avec tes femmes ? Tout cela ne serait que juste si tu n’avais pas pris la féroce habitude de me laisser toujours chez moi : voilà plus de deux mois, à la lettre, que je n’ai mis le pied dans la rue, si j’en excepte le jour où nous sommes allés acheter la lampe [2]. D’un autre côté je ne peux pas accepter de sortir à minuit de ce temps-ci. Tu as pris l’habitude de ne venir me voir qu’à une heure ou deux heuresa du matin, ce qui me force à me lever à des heures fabuleuses dans la journée. Qu’y faire ? Souffrir, souffrir et toujours souffrir de cette horrible torture lente et abrutissante que personne ne voit, que personne ne plaint parce qu’elle ne vous fait pas vous tordre dans des convulsions et jeter les hauts cris. Hélas ! Mon Dieu pardonnez-moi si je blasphème mais vous savez, vous, si je souffre et ce qu’il me faut d’amour et de courage tous les jours pour supporter cette séquestration d’un nouveau genre. Vois-tu, mon Victor, je ne peux pas toujours me retenir. Je souffre, il faut que je te le dise, il y a des moments où ma vie me pèse comme un couvercle de pierre et où je serais capable de tout pour un peu d’air et de liberté et pourtant je t’aime plus que ma vie.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16357, f. 165-166
Transcription d’Yves Debroise assisté de Florence Naugrette
[Souchon]

a) « heure ».

Notes

[1C’est ainsi que Juliette nomme familièrement sa fille Claire. Quant à l’achat du parapluie, c’est un thème récurrent, l’accessoire en question étant le cadeau d’étrennes de Claire prévu pour le premier janvier 1844, dont l’achat est toujours retardé.

[2Soit le 3 décembre 1844.Voir à ce sujet la lettre du mardi 3 décembre au soir.

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