Guernesey, 26 novembre 1858, vendredi matin, 8 h. ½
Bonjour mon cher petit homme, bonjour, je t’aime. J’ai tâché de te montrer comment on dort comme une marmotte cette nuit, reste à savoir si tu as suivi ce bon exemple. En attendant que tu viennes me dire toi-même comment tu as passé la nuit, je fais force de voile et de rame pour arriver à profiter de l’après-midi pour copire, cela ne m’est pas facile à cause de la brièveté des jours qui m’empêche de me lever de bonne heure, et de mes mauvais yeux qui se refusent au service le soir. Cependant il faudra bien que je trouve moyen de tout concilier avec mon désir ardent de ne pas céder à d’autre qu’à la MACHINE le bonheur de vous copire. Pour cela il faut encore que je trouve moyen d’installer une table quelconque pour toi ou pour moi car il est impossible que nous écrivions ensemble à la même table. Tout cela ne vaut pas la peine d’être dit ni chanté à moins que ce ne soit pour servir de litière à mes tendresses pour qu’elles ne se heurtent pas l’une contre l’autre comme on fait pour les œufs qu’on emballe. Ainsi je fais, sans craindre la CASSE, en fourrant mon cœur, mon âme dans la même restitus avec force caresses.
Bnf, Mss, NAF 16379, f. 330
Transcription d’Anne-Sophie Lancel, assistée de Florence Naugrette