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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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13 juin 1836

13 juin [1836], lundi matin, 8 h. ½

Bonjour mon cher adoré, comment vas-tu ce matin ? Moi je ne vais pas du tout. J’ai passé une bonne partie de la nuit à pleurer. Je ne te fais pas de reproche, je crois bien que tu travailles et que tu n’as pas pu distraire de tes occupations ta pensée ni ta personne en faveur de ta pauvre Juju. Je ne sais pas comment la journée se passera. Me voici levée. J’ai beaucoup à faire pour mettre tout en ordre dans le cas où nous partirions après demain. Mais je ne sais pourquoi j’ai le pressentiment que ce voyage sera encore ajourné, sinon manqué tout à fait. Je suis dans un chagrin noir qui ne me permet pas de rien distinguera de bon au-delà.
Je t’aime mon cher Victor. Plus je vais et plus je t’aime. C’est un amour qui ne finira même pas avec ma vie de ce monde car tant qu’il restera de moi quelque chose qu’on appelle âme, je t’aimerai.
Cette nuit à minuit on a frappé à la porte à coups redoublés. Craignant que tu n’aies oublié ton passe-partout ou qu’il ne lui soit arrivé d’être bouché comme l’autre jour, je me suis levée et j’ai ouvert la fenêtre du cabinet. Malheureusement ce n’était pas toi et plus grande a été encore mon désappointement de toute la journée.
Mon Toto, je t’aime trop.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16327, f. 156-157
Transcription d’Isabelle Korda assistée de Florence Naugrette

a) « distingué ».


13 juin [1836], lundi soir, 7 h.

Il paraît que tu prends goût à cette manière de vivre. Quanta à moi, je souffre beaucoup et il ne me paraît pas prouvé que quelques heures de plus de cette souffrance-là ne me mettront pas au lit malade sérieusement. C’est acheterb bien cher le bonheur que tu me promets. Je ne sais pas à l’heure qu’il est si je souscrirais de nouveau au même prix. J’ai la tête en feu, je ne vois plus clair à force de pleurer. En vérité, c’est une jolie existence que la mienne. Penser que dans trois jours tu n’as pas trouvé un quart d’heure pour moi c’est charmant. En vérité, ce n’est pas la peine de tant aimer pour si peu de bonheur. Je souffre tant que je donnerais à l’instant mes deux bras pour ne plus sentir rien du bonheur qu’on appelle AMOUR.
Il est probable que je ne te verrai pas encore ce soir. Je ne vois pas ce qui m’empêche de prendre les devants. Tu viendrais me rejoindre peut-être après avoir fait toutes tes affaires à ton aise. Je ne jouerais pas au moins le rôle d’une folle et d’une dupe et je tirerais de l’amour tout ce qu’il contient.

J.

BnF, Mss, NAF 16327, f. 158-159
Transcription d’Isabelle Korda assistée de Florence Naugrette

a) « quand ».
b) « acheté ».


13 juin [1836], lundi soir, 8 h. ¾

Je t’ai écrit tantôt une lettre absurde, injuste et par-dessus tout illisible. Je me repentais en te l’écrivant. Juge depuis que je t’ai vu combien mon repentir s’est accru de toute la conscience de mon injustice et de tout l’amour que j’ai pour toi.
Pauvre ange, je partage bien ta tristesse et ta sollicitude. Pour le pauvre petit être adoré qu’on appelle Toto [1] je consentirais volontiers à recommencer ces trois jours d’horribles tortures pour lui épargner une seule petite souffrance à lui, pauvre petit Toi.
Heureusement que ce ne sera rien et que la campagne et les oreilles couvertes vont lui enlever tous ses bobos.
Cher bien-aimé, pendant que tu travaillais je travaillais aussi, moi, mais pendant que tu m’oubliais, je pensais à toi, moi, et je t’aimais plus que je ne l’avais jamais fait. Si bien que ça a fini par me monter du cœur à la tête et que j’ai souffert et pleuré que c’était pour en mourir.
Maintenant que je t’ai vu, je me moque de moi, je renvoie les JALOUSIES au diable et je garde mon amour seulement.
Cher bien-aimé, je ne t’ai pas offert à souper parce qu’à l’exception d’une tasse de bouillon froid, je n’ai absolument rien chez moi à t’offrir et qu’il était trop tard pour rien faire acheter. Si j’étais sûre que tu reviennes assez tôt pour aller chez le marchand du boulevard, je ne me coucherais pas. D’un autre côté je peux à peine me tenir sur ma chaise. Je t’aime. Je t’aime. Je t’aime.

Juliette

Si tu as le courage de vouloir lire le gribouillage enragé de tantôt, tu le trouveras dans mon buvard.

BnF, Mss, NAF 16327, f. 160-161
Transcription d’Isabelle Korda assistée de Florence Naugrette

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