Guernesey, 10 octobre 1858, dimanche, 9 h. ½ du m[atin]
Bonjour, mon cher bien-aimé ; bonjour, avec vent et marée car il y en a beaucoup ce matin. Il me paraît même impossible que le bateau Weymouth soit venu et dans le cas où il serait venu qu’on ait pu laisser partir ces dames par cette tempête déchaînée ? Tout à l’heure, je croyais voir une barque en détresse mais elle a réussi à entrer dans le port de Saint-Sampson. J’espère qu’il ne sera arrivé aucun malheur cette nuit autour de notre île mais la prudence exige qu’on reste chez soi pendant tout cet affreux temps. Cet incident te voue pour quelques jours encore à tous les plaisirs de l’hospitalité joviale, joyeuse et croustilleuse. Pourvu que tu conserves ta santé et que tu t’amuses, j’en suis heureuse. En somme, on n’a que le plaisir qu’on se donne sur cette terre et les mieux partagés sont ceux qui se fichent du qu’en dira t’on ? Aussi, mon cher petit homme, loin de m’apitoyera sur le séjour prolongé d’Eulalie [1] et d’Alphonsine, je t’en félicite. Quant à moi, il y a si longtemps que je suis en PANNE qu’il me serait difficile de courir les bordées de vos plaisirs débordés. Aussi, je ne vous les envie pas. Je me contente de vous savoir heureux et de vous aimer à fond de cale et sous la protection de mon ancre de miséricorde de mon âme.
Bnf, Mss, NAF16379, f. 287
Transcription d’Anne-Sophie Lancel assistée de Florence Naugrette
a) « m’appitoyer ».