26 juillet [1837], mercredia matin, 8 h.
Bonjour mon cher adoré, je vous aime autant ce matin qu’hier, c’est-à-dire que je vous aime de toutes mes forces et de toute mon âme. Comment va ta chère petite tête ? Bien n’est-ce pas ? La mienne c’est toujours la même chose. Je ne sais pas si c’est la MÉCHANCETÉ qui y est enfermée qui livre un combat au peu de bon sens qui me reste encore. Toujours est-il que j’ai très mal à la tête. Vous avez donc déjà 115 F. de côté ! Je commence à croire que notre voyage ne sera pas seulement autour de ma chambre. 115 F., c’est quelque chose, mais ce n’est pas encore assez. Je me tourmente pour savoir comment tu pourras en avoir d’autres. Sans être une femme de peu de foi, je suis une femme très amoureuse et très désireuse de vivre avec vous le plus longtemps possible de la vie de bonheur, de liberté et d’amour. Aussi je vendrais mon lit et même votre culotte pour un cabriolet qui nous roulerait pendant deux mois sur les grandes routes de n’importe quel pays. Jour pa. Que vous est-il donc arrivé cette nuit, cher Toto, que vous avez laissé dédaigneusement votre bougeoirb sur la fontaine ? Toto, Toto, vous vous [dérangez ?]. Cette petite infraction à vos habitudes cache peut-être un affreux mystère que je découvrirai, je vous en préviens [1]. C’est aujourd’hui, mon cher petit homme, que vous m’écrirez sur mon Q. CURTII RUFI, DE REBUS GESTIS, ALEXANDRI MAGNI, LIBRI DECEM [2], hein ? On n’est pas d’une certaine force en latin. Et cornipedum pulsu ærec [3]… Je n’en dis pas plus. Ma science est assez démontrée comme ça.
Je t’aime, toi. Je t’aime plus plein que le monde. Je t’aime plein mon cœur et par-dessus les bords.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16331, f. 101-102
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein
a) Le jour de la semaine a été ajouté en très petites lettres au-dessus de « mardi », fautif mais non biffé.
b) « boujeoir ».
c) « pulsus ere ».
26 juillet [1837], mercredi soir, 8 h. ½
Je t’aime, mon bon petit homme. Je t’aime, c’est bien sûr et bien vrai. Je t’aime tous les jours plus. Je ne sais pas comment cela se fait mais cela est. J’ai dîné avec Mme Pierceau, elle m’a parlé faiblement de l’affaire en question. Il paraît certain que MM. les sociétaires voulaient se donner les gants [4] de m’engager pour te RENDRE SERVICE et exiger plus tard le prix de ce même service avec de gros intérêts [5]. Heureusement que nous voyons la ficelle. Soir pa. Je travaille à mes chemises. Il y en a une que j’emporterai ce soir pour la faire tout à fait. Je t’aime mon Victor bien aimé. Je t’aime comme… ma foi, il n’y a pas de comparaison possible. Enfin je t’aime comme une pauvre fille qui s’est donnée touta entière à toi sans se réserver un seul petit morceau de cœur ni un seul petit coin de pensée. Tout est à toi. J’ai toujours mon hideux mal de tête. Je viens de me décoiffer pour t’écrire, sans cela je ne l’aurais pas pu. Je souffre vraiment. Il faut absolument que tu me fasses marcher ce soir. Tu as mis la lettre chez Mme Krafft. Si ce n’était pas trop t’ennuyerb, je te dirais de penser aux livres [6]. Soir pa, soir man. Et notre voyage ? Si nous le faisons vraiment cette année, je pousserai de si fameux zurlements [7] qu’on m’entendra de vingt lieues à la ronde. Hou ! je voudrais y être déjà. En attendant, je t’aime. Je voudrais vous baiser la nuit et encore le jour. Je t’aime, je t’aime.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16331, f. 103-104
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein
a) « toute ».
b) « ennuïer ».