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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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10 août 1844

10 août [1844], samedi soir, 6 h. ½

Vous êtes allé à la poste hériter, mais vous n’irez pas à la postérité, c’est moi qui vous barrerai le chemin, vous pouvez y compter. Pour un homme qui est le plus fort, c’est bien mesquin ce que vous faites là envers une faible femme. Taisez-vous et comptez sur ma guipure, sur une pipe, et sur des bas rouges. Voime, voime, je vous donnerai tout cela en cas d’eau, un jour qu’il fera beau. Ia, ia, monsire, matame [1].
Jour Toto, jour mon cher petit o. Je ne vous en veux pas. Je vous approuve au contraire d’avoir de la raison pour nous deux. Je vous en remercie et je vous aime.
Jour cher petit bien-aimé, je suis bien heureuse. Je t’ai vu, j’ai passé une bonne partie de la journée avec toi. Je suis heureuse, heureuse, heureuse. Si tu viens de bonne heure ce soir, je te fais grâce à tout jamais du verre à patte [2]. Voillàa comme je suis, moi, quand on fait ma vollontéa !
Clairette ne vient pas vite. Je suis sûre qu’elle aura voulu attendre son père qui ne sera pas venu à son atelier. Enfin, la pauvre enfant, elle doit voir que je fais tout ce que je peux pour lui donner cette satisfaction. Malheureusement, son père ne s’y prête pas du tout. Je vais la voir tout à l’heure probablement très triste et très crottée. Chaque fois qu’elle revient de chez son père et qu’elle ne l’a pas trouvé, elle est très malheureuse. Il est impossible d’aimer plus un père moins aimable. Enfin, l’amour quel qu’il soit, est aveugle. En voilà bien une preuve.
Je ne dis pas cela pour moi, parce que je ne vous aime pas d’amour, moi. Je vous aime autrement et mieux que ça. Je vous aime à ma façon à moi qui vaut mieux que celle de tout le monde. Aussi, je ne suis pas si bête de fermer les yeux. Je les ouvre au contraire tout grandsb afin de ne pas perdre un seul de vos avantages. Je veux voir vos beaux cheveux, si fins, vos beaux yeux, si doux, votre joli nez, si bien modelé, votre ravissante petite bouche rose, vos dents éblouissantes et bien autres choses encore que l’espace ne me permet pas d’énumérer. Je vous adore. Je vous baise et rebaise de toutes mes forces.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16356, f. 37-38
Transcription de Caroline Lucas assistée de Florence Naugrette
[Souchon, Massin]

a) La consonne est volontairement doublée.
b) « grand ».

Notes

[1Imitation de l’accent allemand pour « oui, oui, monsieur, madame ».

[2Le manuscrit comporte le dessin d’un verre à pied surmonté d’une sorte de capuchon.

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