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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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7 avril 1849

7 avril [1849], samedi matin, 7 h. ½

Bonjour, mon ineffable bien-aimé, bonjour, mon adoré petit Toto, bonjour, autant que je t’aime et plus que de toutes mes forces. J’ai passé une assez bonne nuit. Mon mal de tête est bien diminué mais ma douleur de dos est toujours la même et plus forte encore du côté droit, c’est à peine si je peux faire le mouvement de prendre de l’encre. Tu vois que c’est bien rhumatismal. Et puis tous les ans à cette époque-ci je suis souffrante, cela n’a donc rien de nouveau ni d’inquiétant pour moi, et n’était la difficulté de marcher et de me mouvoir je ne m’en plaindrais même pas. Ce qui me gêne véritablement, ce sont les douleurs d’omoplatesa et de cœur.
Pauvre bien-aimé, c’est bien la peine que je t’aime si tendrement pour ne t’entretenir que de mes maladies. Quand j’y pense j’en suis toute confuse et j’ai envie de déchirer ce ridicule bulletin de malade imaginaire.
Jour Toto, jour, mon cher petit o. Je suis très gaillarde au contraire. Je ne souffre pas puisque je vous aime et que je veux être très jeune. Taisez-vous qu’on vous dit et ne me riez pas au nez, parce que c’est malhonnête. À ton tour, comment vas-tu, mon amour adoré ? Si tu dis oui, je suis bien heureuse et je n’ai plus qu’à te désirer et à te voir pour que mon bonheur soit parfait. Cher petit homme, je passerais ma vie à te répéter toujours la même chose sans m’en apercevoir et avec la persuasion que je t’apprends quelque sentiment nouveau tant je t’aime et tant les impressions de mon amour sont vives et fraîches. C’est ce qui explique la monotonie et l’uniformité de mes gribouillis qui redisent tous la même chose : je t’adore.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16 367, f. 89-90
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Jean-Marc Hovasse

a) « omoplattes ».


7 avril [1849], samedi matin, 11 h. ½

Je ne sais pas encore si je pourrai t’accompagner, mon cher bien-aimé, tant je suis éclopéea. Cependant dans l’intérêt de mon bonheur j’y ferai tout mon possible. Il faudra que ce soit tout à fait au-dessus de mon courage et de mes forces pour que j’y renonce. En attendant je fais tous mes préparatifs tout doucement, quitte à me coucher si j’y suis forcée. C’est le cas où je regretterai encore plus fort de n’avoir rien à copier. Malheureusement il n’est pas temps de te demander de la copie puisque tu t’en iras directement de chez moi à l’Assemblée et que d’ailleurs tu n’as pas le temps sans doute de chercher dans tes manuscrits ceux que tu veux que je copie. Je me rends bien compte de cela mais cela ne m’empêche pas de soupirer et de regretter de n’avoir pas quelques-uns de ces précieux manuscrits pour me tenir compagnie et pour me consoler de ton absence. Après cela je ne renonce pas encore à ma promenade, tant s’en faut. Je fais même tout ce qu’il faut pour qu’elle ait lieu, quitte à en être pour mes frais de débarbouillage et de toilette. Le vrai pire ce sera ma déconvenue et le chagrin de perdre une heure du bonheur d’être avec toi. Aussi je n’y renoncerai qu’à mon corps défendant. J’ai été toute triste hier de voir cette pauvre Joséphine si malade. Je crains qu’elle ne supporte pas cette nouvelle secousse car depuis si longtemps qu’elle souffre, elle est à bout de toutes ses forces. Du reste, la pauvre fille, ce serait la fin d’une vie bien laborieuse et bien éprouvée par toutes sortes de misères et de privations, mais ce serait un regret bien vif pour moi qui la connais depuis si longtemps et qui avais un véritable attachement pour elle : j’espère encore que non et pourtant, mon Dieu ce serait sa délivrance. Mon Victor adoré, je me réfugie dans ton amour comme dans le sanctuaire qui m’abrite de tous les maux et de tous les chagrins de cette vie.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16367, f. 91-92
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Jean-Marc Hovasse

a) « écloppée ».

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