25 mars [1845], mardi matin, 11 h.
Bonjour, mon Toto, bonjour, mon cher adoré bien-aimé, bonjour, mon petit homme chéri, comment que ça va ce matin ? Moi, c’est toujours de pire en pire, comme chez Nicolet [1]. Je finis par me laisser aller comme une bête brute. Plus je lutte et plus je fais d’efforts pour triompher de ce hideux rhume et plus fort il est. Ma foi, j’y renonce. Je laisse mes jours et mon nez couler comme il leur plaira. Je ne veux plus m’en occuper. Pour comble d’aplatissementa, j’ai une Cocotte qui pousse des cris perçants sans interruption. C’est pour prendre ses jambes à son cou et pour se sauver de cette affreuse ménagerie.
Cher adoré, tu as dû trouver ton raisin bien mauvais cette nuit, car ce matin, je me suis aperçue qu’il était couvert d’une poussière noire de suie ? J’ai bien soufflé sur celui qui restait, je l’ai bien nettoyéb, mais celui que tu as mangé a dû te paraître bien amer ? Une autre fois je me défierai de ce tuyau de cheminée. J’ai oublié de te demander si tu voulais ta tapisserie tout de suite ou si tu pouvais attendre à la semaine prochaine ? Dans le premier cas, il faudrait que j’écrive à Eulalie aujourd’hui. Dans le second cas, je la préviendrais seulement samedi quand elle viendra pour Claire. Vois ce que tu veux, mon adoré, pour que je le fasse sans retard. Je t’aime, mon Victor adoré.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16358, f. 225-226
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette
a) « applatissement ».
b) « nétoyé ».
25 mars [1845], mardi soir, 11 h. ¾
J’espère que j’ai taillé une maîtresse bavette aujourd’hui, mon Toto, et pour ne rien dire qui vaille la peine encore. C’est une journée de dévergondage de langue qui compense bien des longs jours de mutisme forcé. Aussi ne faut-il pas me le reprocher. D’ailleurs, comme hygiène, il est très utile que les femmes fassent quelque fois de ces sortes d’intempérance. J’ai retenu la mère Lanvin à dîner presque de force. Ainsi tu penses si ma pauvre claquette avait besoin d’aller. Tout cela, je te le répète, est en soi fort innocent, mais j’avais besoin de parler.
Te voilà, mon adoré, je te finirai ton gribouillis demain.
BnF, Mss, NAF 16358, f. 227-228
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette