Paris, 3 avril [18]72, mercredi matin, 7 h. ½
Bonjour, mon bien-aimé, comment ta nuit ? Bonne, n’est-ce pas ? J’envoie Suzanne savoir comment va Mariette et lui demander ce qu’elle désire manger ce matin. Dès que je t’aurai gribouillé ma restitus je me mettrai à copier dare-dare. Je me reproche de m’être laissé séduire par Talleyrand ou Washington de môsieu ton fils [1] mais je vais me pardonner à moi-même cette infraction à la préséance en me délectant dans À H.V [2] et toutes les autres merveilles que je caresse des yeux en ce moment. Je pense qu’Henriette s’en ira samedi pour se trouver toute portée lundi matin à Guernesey. Si tu avais quelque commission à lui faire faire à Jersey et à Guernesey, tu feras bien d’y penser dès à présent ; elle s’empressera de les faire de son mieux, j’en suis sûre. De mon côté, je compte lui donner le meilleur certificat possible auquel elle a droit. Quels que soient la gentillesse et le zèle de l’autre jeune fille, je regrette celle-ci que je connais mieux. Mais ce qui ne me fait pas rire du tout c’est la nécessité de payer le voyage, c’est-à-dire de donner cinquante francs du pauvre petit argent qui me reste pour la dépense de la maison. Enfin, le bon Dieu ou Suzanne y pourvoiront. Pourvu que tu m’aimes et que je t’adore, je suis assez riche comme cela.
BnF, Mss, NAF 16393, f. 90
Transcription de Guy Rosa