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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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26 juin [1848], lundi après-midi, 1 h. ½

Je viens de recevoir tes deux lettres à la fois, mon tout adoré, te dire avec quelle passion, avec quelle frénétique tendresse je les ai lues serait impossible [1]. Je me suis enfermée dans ma chambre, j’ai fermé les persiennes pour pouvoir me livrer sans contrainte à la joie folle qu’elles m’inspirent et cependant mon Dieu ce n’est pas encore toi. Et pourtant tout est encore en question. Le faubourg Saint-Antoine ne veut pas se rendre et les faubourgs du Temple et de Ménilmontanta tiennent toujours [2]. Tout à l’heure on a porté sur un brancard le corps d’un capitaine de la garde mobile. Je ne peux pas te dire comme la vue de cet homme sous le linceul m’a impressionnéeb. Il n’a fallu rien moins que tes deux adorables lettres pour me le faire oublier. Merci, mon Victor, merci d’avoir pensé à moi dans un moment si terrible, merci aux deux anges auxquelsc tu me recommandes, et sous la protection desquelles je t’ai mis, merci à Dieu qui t’a protégé. Ô Dieu soyez béni tout est fini. Je vais revoir mon pauvre adoré bien-aimé, plus de massacres plus d’horreurs tout est fini. On vient de crier dans la rue que le faubourg s’était rendu. Quel bonheur je vais te revoir ! Je n’aurai plus à trembler pour ta vie, je n’entendrai plus cette effroyable fusillade quel bonheur ô mon Dieu, mon Dieu, soyez bénis. Ô mes pauvres anges du ciel souriez-moi je suis heureuse et je pleure. Je vais te voir, je vais te voir.

 Juliette

MVH, 7796
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Michèle Bertaux

a) « Ménil-montant ».
b) « impressionné ».
c) « auquels ».

Notes

[1Le 24 juin, Hugo écrit à Juliette deux billets, l’un à 6 h. du matin, depuis chez lui, l’autre quelques heures plus tard depuis l’Assemblée pour la rassurer. Le 26 juin, il lui écrira qu’il est occupé sans relâche aux responsabilités qui lui ont été confiées pendant les troubles : « […] J’ai usé de mon mandat depuis trois jours pour concilier les cœurs et arrêter l’effusion de sang. J’ai un peu réussi. Je suis exténué de fatigue. J’ai passé trois jours et trois nuits debout, dans la mêlée, sans un lit pour dormir, m’asseyant par instants sur un pavé, presque sans boire et sans manger. De braves gens m’ont donné un morceau de pain et un verre d’eau, un autre m’a donné du linge. Enfin cette affreuse guerre de frères à frères est finie. Je suis quant à moi sain et sauf, mais que de désastres ! Jamais je n’oublierai tout ce que j’ai vu de terrible depuis quarante heures. […] » (Victor Hugo, Lettres à Juliette Drouet, édition de Jean Gaudon, ouvrage cité, p. 136.)

[2La fermeture des Ateliers nationaux, créés sur l’initiative de Louis Blanc en février 1848, sont à l’origine des terribles insurrections qui ont lieu à Paris du 23 au 26 juin 1848. Destinés à apporter de l’ouvrage et un salaire aux ouvriers au chômage, ces ateliers se révélèrent être un gouffre financier pour l’économie française. Le 21 juin, l’Assemblée vote leur fermeture et décide de réorienter les jeunes de 18 à 25 ans dans l’armée. Les premières barricades s’élèvent dans Paris le 23 juin. Afin de mener la répression, l’Assemblée vote l’état de siège et le remplacement de la Commission exécutive par le général Cavaignac qui ordonne le déploiement des forces gouvernementales. Le bilan meurtrier est très lourd : plus de 1500 insurgés sont fusillés, 11 000 sont emprisonnés.

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