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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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5 janvier [1846], lundi, midi, ½ 

Bonjour mon cher petit bien-aimé, bonjour mon cher petit homme chéri, bonjour comment vas-tu aujourd’hui ? As-tu eu bien froid cette nuit et t’es tu couché bien tard ? J’ai eu tout le temps d’y penser et de m’en inquiéter car je n’ai pas dormi une demi-heure de suite sans me réveiller. Aussi ce matin je suis tout écrabouillée, on ne m’entend plus parler du tout. Cependant je ne souffre presque plus, probablement maintenant cela s’en ira de soi-même comme c’était venu. Je ne veux plus m’en occuper, il fait un soleil ravissant du reste et je suis toute prête à courir la poste avec toi si tu veux tout de suite. J’ai oublié de te demander à quelle heure devait arriver notre gros Charlot aujourd’hui. J’espère qu’il avait eu la précaution d’emporter de quoi se couvrir la nuit. Le temps est beau à condition qu’on aura des bottes fourrées, et un cache-nez idem. Je voudrais bien qu’il fût de retour déjà avec tous les honneurs de la guerre. Hélas !il faut attendre encore huit ou des mortels jours. Ma péronnelle [1] est partie ce matin à 7 h. après avoir mis sous enveloppe les deux lettres que Suzanne a portées tout de suite après à Varin. Nous verrons ce que cela donnera, jusqu’à présent cela n’a pas produit merveille. Je suis assez contente de la lettre de Pradier [2], pour un homme aussi peu loyal que celui-là, la lettre d’hier est un effort de loyauté et de probité dont je ne le croyais pas capable. Il serait bientôt temps qu’il revînt à des manières d’honnête d’homme et la lettre d’hier en est peut être le commencement. Je le désire plus que je n’ose l’espérer. La suite nous fera voir ce qui s’en est. Vous avez eu tort de refuser mon beau couteau, mon amour, car je vous le donnais de bien bon cœur et sans la moindre arrière pensée intéressée. Vous n’avez pas voulu profiter de ma générosité, tant pis pour vous mais je ne la recommencerai pas. On n’a pas deux moments comme cela dans sa vie et puis qui refuse muse [3]. Je rengaine mon grand couteau à tout jamais. Sur ce baisez-moi malgré mes nombreuses infirmités et venez bien vite me voir, cela me guérira comme avec la main et mieux qu’avec la main. Je vous attends et je vous adore.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16362, f. 13-14
Transcription d’Audrey Vala assistée de Florence Naugrette
[Siler]


5 janvier [1846], lundi, soir

Où es-tu mon aimé ? Que fais-tu et quand viendras-tu te réchauffer à mon feu ? Je t’attends et je te désire de toutes mes forces. Je suis tourmentée de te savoir errant par cet affreux temps, je voudrais que tu puisses travailler auprès de moi et ne pas me quitter. Malheureusement cela ne se peut pas à ce qu’il paraît. Tu m’avais promis de la copie, mon cher amour, mais je ne vois rien venir. Ce serait pourtant bien le moment maintenant que je suis seule et débarrassée de tous les ennuis de jour de l’an. C’est si bon de copire mon admirable gribouillis que je ne m’en lasserais jamais. C’est pour cela probablement que vous me le faites autant désirer et autant attendre, comme si vous aviez besoin de cette vieille coquetterie d’académicien et comme si j’avais besoin de stimulant pour vous admirer dans tous vos chefs-d’œuvre. Taisez- vous, vous savez bien que je ne peux pas vous répondre dans ce moment. Je continue à avoir une extinction de voix des plus complètes. Cependant je te l’ai déjà gribouillé, tantôt je ne souffre plus des bronches et mon oppression a disparu. Je n’ai plus qu’un peu de grattement et de picotement dans la gorge. Demain il n’y paraîtra plus à la voix près, ce dont vous ne serez pas fâché, parce que cela vous empêchera d’entendre mes grognasseries. Jouissez bien vite de ce temps de [illis.] forcé car je compte m’en dédommager dès que je le pourrai avec mille pour cent d’intérêt. D’ici là baisez-moi, aimez-moi et ne me laissez pas vous désirer et vous attendre trop longtemps entends-tu mon cher petit Toto ? Tâche de venir bien vite car j’ai besoin de te baiser.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16362, f. 15-16
Transcription d’Audrey Vala assistée de Florence Naugrette

Notes

[1C’est ainsi que Juliette surnomme sa fille Claire.

[2Cette lettre ne figure pas dans l’ensemble des textes réunis, classés et annotés par Douglas Siler dans la Correspondance, Tome III (1843-1846). Le jour de l’an, à 8 h. du matin Juliette écrit à Hugo : « Cette chère enfant paraît toute contristée de l’indifférence affectée de son père. Il est scandaleux, en effet, qu’il fasse ostensiblement des générosités folles autour de lui quand il ne daigne pas donner un souvenir à sa fille. ». Et le samedi 3, alors que Claire se rendit à m’atelier de son père, en attendant son retour, Juliette écrit à Hugo : « Je ne sais pas si elle aura trouvé son père. Je le voudrais pour elle puisqu’elle y attache une idée de bonheur. ».

[3Formule qui signifie : qui refuse, perd une occasion qui ne se représentera pas.

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