Paris, 7 juin [18]78, vendredi soir, 2 h.
Cher bien-aimé, mon âme vibre encore tout émue de tes deux doux adieux pendant que mes yeux s’emplissent de larmes de ne plus te voir et que mon cœur se gonfle du regret de n’avoir pas pu te suivre jusqu’au Sénat comme autrefois.
J’ai beau lutter de courage, de souffrance et d’amour, je sens que la vie ne veut plus de moi et que je perds du terrain à chaque minute qui s’écoule. Bientôt je ne serai pour toi qu’un souvenir, hélas ! bien mélangé de bien et de mal, de bonheur et de désenchantement, résultat fatal de l’imperfection de ma nature. Et si ce désenchantement doit avoir pour conséquence forcée l’oubli complet de notre amour mutuel en cette vie je supplie Dieu de me donner à la fois la mort du cœur et celle de l’âme en me rendant au néant dont je suis sortie. Cette prière exaucée te permettra d’être heureux sans remordsa dans cette vie et dans l’autre.
BnF, Mss, NAF, 16399, f. 150
Transcription de Chantal Brière
[Guimbaud]
a) « remord ».