Paris, 30 maia [18]78, jeudi matin, 10 h.
Cher bien-aimé, j’espère qu’il ne t’arrivera aucun accident dans cette bagarre de gloire, d’enthousiastes, d’admirateurs et d’adorateurs qui va fondre sur toi aujourd’hui [1]. Cependant je voudrais déjà être revenue avec toi ici sain et sauf car la foule trop amoureuse a son danger aussi. Quant à moi, je ne crains que de revenir un peu plus sourde et un peu plus aveugle qu’en partant par le tonnerre d’applaudissements de l’auditoire et par les rayons de ton génie sublime. Mais ce danger, loin de m’épouvanter, m’attire, au contraire, et je le recherche avec passion depuis quarante-cinq ans que j’ai l’honneur et le bonheur de vivre à l’ombre de ta gloire. Je regrette l’absence de tes chers petits-enfants qui auraient été si heureux de voir cette grande fête. J’espère encore qu’ils vont arriver aujourd’hui car le mal de gorge de ta chère petite Jeanne, pris à temps, ne peut pas avoir de gravité. Je le demande à Dieu de toute la force de mon âme et j’espère en t’aimant et en te bénissant.
BnF, Mss, NAF, 16399, f. 142
Transcription de Chantal Brière
a) Juliette écrit « mars » et corrige au-dessus.