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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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27 août [1841], vendredi après-midi, 2 h. ½

Le temps passe chez moi si vite que c’est à grand peine si je peux trouver un moment pour me débarbouiller. Cela tient à ce que nous nous levons tard et à ce que tu éternisesa ta toilette de manière à ce que je ne puisseb rien faire pendant ce temps-là, aussi il arrive que je soisc obligée de faire en quelques heures les affaires de toute la journée, ce qui est assez difficile. Mais vous êtes un monstre et je suis plus que jamais de l’avis de Buessard [1]. Quel beau temps mon Dieu et combien je suis malheureuse de n’en pouvoir pas profiter avec vous. Quelle affreuse année. Je ne parle pas pour à présent car je vous ai presque toutes les nuits et un peu le jour mais cela pourrait être encore mieux (si nous étions ensemble sur quelque impériale de diligence avec deux bons mois de bonheur devant nous [2]… Je parle des affreux dix mois qui viennent de s’écouler pendant lesquels j’ai vécu enfermée, ne voyant le soleil que par ma fenêtre et le bonheur par rien du tout car il y eutd éclipse totale de Toto et d’amour tout ce temps-là). Si je pouvais penser que l’année prochaine sera comme celle que je viens de passer, je crois que je donnerais ma démission plutôt que de vivre comme une huître dans une cage comme je l’ai fait jusqu’à présent. Et puis tenez, je vous aime et je suis enragée car il y [a] trop longtemps que je jeûne de tout. Hélas ! vous êtes déjà sans doute sur la route de Saint-Prix [3] et moi je reste là à voir tourner mon ombre sur mes pieds [4].

Juliette

BnF, Mss, NAF 16346, f. 179-180
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « éternise ».
b) « peux ».
c) « suis ».
d) « eu ».

Notes

[1L’instituteur et sociologue Paul Buessard (1808-18..), auteur de traités d’enseignement, d’un manuel d’instruction élémentaire et de Cours de littérature française biographique et analytique, depuis le Ier siècle de l’ère chrétienne jusqu’à nos jours, suivi d’une Mnémosyne progressive (Paris, 1845). Le Tome I de La Revue de Paris de 1839 parle de lui en termes très élogieux (p. 283). Manifestement, il travaille dans la pension de Claire et Juliette mentionnera le dimanche suivant son renvoi imminent.

[2Depuis 1834, Hugo et Juliette ont pris l’habitude d’effectuer un voyage de quelques semaines ou mois pendant l’été et le printemps. Elle attend toute l’année ce moment qui est le seul où elle peut vivre « de la vraie vie » seule avec le poète mais malheureusement, en 1841, leur voyage annuel n’aura pas lieu.

[3Pendant l’été 1841, les Hugo ont loué à Saint-Prix, dans le Val-d’Oise, un appartement meublé de la mi-juin à la mi-octobre, et le poète y passe du temps de juillet à octobre pour terminer la rédaction du Rhin.

[4Citation du poème écrit pour Juliette par Victor Hugo : « La pauvre fleur disait au papillon céleste (…) : / Mais non, tu vas trop loin ! - Parmi des fleurs sans nombre / Vous fuyez, / Et moi je reste seule à voir tourner mon ombre / À mes pieds. » (Les Chants du Crépuscule, XVII, 1835). Elle l’emploie de temps à autre.

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