3 août [1841], mardi matin, 10 h. ½
Bonjour mon cher bien-aimé, bonjour mon amour chéri. Que faites-vous ce matin ? Où êtes-vous ? À quoi pensez-vous ? Qui désirez-vous et qui aimez-vous ? Moi je réponds à toutes ces questions de loin comme de près, ça n’est pas bien difficile : – je vous écris, je suis chez moi, je pense à vous, je vous désire de tout mon cœur et je vous aime de toute mon âme.
J’ai envoyé faire toutes mes commissionsa ce matin, dans ce moment-ci on est chez la mère Lanvin. Je lui ai envoyé tout de suite 45 F. pour qu’elle puisse faire renouvelerb la reconnaissance cette semaine. Il ne me reste pas un sou et même je devrai la dépense d’aujourd’hui à la bonne. Ainsi, mon pauvre ange, depuis hier voilà 140 F. de partisc sans qu’il y ait eu une seule dépense frivole ou qui ne fût pas indispensable de faite. C’est à y perdre son latin. Le mien est, je l’avoue, fort aventuré et je n’en donnerais pas deux liards de bon argent [1]. Ia ia monsire Toto. Apportez-moi à copier, scélérat, ou craignez mon courroux. Apportez-moi aussi des coquillages, des oiseaux et des graines ou craignez ma fureur, apportez-moi votre nez à TUMÉFIER ou craignez ma vengeance. Dépêchez-vous, je vous l’ordonne car je suis très pressée de vous voir et de vous embrasser sur toutes les coutures. Je vous aime Toto, je vous adore mon bon petit homme, et vous ? Baisez-moi, vieux brigand, et tâchez de gagner votre procès demain ou je vous fiche des coups [2]
Juliette
BnF, Mss, NAF 16346, f. 109-110
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette
a) « commission ».
b) « renouveller ».
c) « parti ».
3 août [1841], mardi soir, 5 h. ¾
Eh bien je vous attends, scélérat, c’est comme ça que vous venez, brigand. Si je vous tenais je vous ferais bien marcher droit devant moi tout de suite, monstre que vous êtes. Et ma copie ? Je n’ai pas voulu commencer de l’ouvrage de couture, espérant que vous alliez venir. Ah ! bien oui, il n’y a pas de danger, plus on vous appelle et plus vous vous en allez, comme le chien à Jean de Nivelle [3] En attendant, je suis venu à bout de faire nettoyera le toit et la gouttière de la salle à manger. J’ai fait trois bouquets de fleurs pour le petit carton, plus une facture au nom de Madame Dédé. Tout est prêt maintenant et vous pouvez faire débuter cette nouvelle actrice sur la table de Dédé [4]. J’espère qu’elle sera contente de l’orthographe ou alors c’est qu’elle est bien difficile. Enfin j’ai fait de mon mieux pour que l’effet soit complet mais je veux en échange beaucoup de graines, beaucoup d’oiseaux et beaucoup de coquillages ou bien je reprends mademoiselle, tiens. J’ai pas besoin, moi, de donner toutes mes affaires si on ne me donne rien. DONNANT DONNANT, c’est ma devise et ma philosophie, eeet maaaa philosophiiiiiiee, crin crin rin crin crin rin [5]. Je recommence à boire de la tisaneb, ce qui me scie le dos au suprême degré.
Chère âme de ma vie, je t’ai vue et je t’ai déjà perdue dans l’espace de moins d’un quart d’heure. Mais enfin je t’ai vu, tu m’as souri, j’ai vu ton beau visage, senti ta douce haleine, je suis heureuse. Reviens bien vite, mon amour, et n’oublie pas de m’apporter à copier ; je suis très pressée, j’attends après, dépêche-toi vite vite. Mamzelle Gobéa [6] aussi est très pressée de faire son entrée triomphale chez la marquise Dédé. Je ne sais pas comment contenir son impatience et le mienne jusqu’à ce soir. Dépêchez-vous, Toto, dépêchez-vous vite. Je t’aime
Juliette
BnF, Mss, NAF 16346, f. 111-112
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette
a) « nétoyer ».
b) « tisanne ».