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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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19 mars 1843

19 mars [1843], dimanche soir, 11 h.

Ainsi que je l’avais prévu, mon Toto bien-aimé, je n’ai pas pu t’écrire tantôt ; car, dès quatre heures, j’avais Mme Krafft chez moi qui venait me demander une lettre de toi pour ton cousin Trébuchet pour servir à son fils. En même temps elle venait me demander à dîner escortée de trois bouteilles de vin, deux de bordeaux, une de champagne, plus une tourte et des biscuits. Bref, la pauvre femme a trouvé un moyen honnête de payer son dîner et au-delà. Je ne sais pas, mon pauvre bien-aimé, comment tu feras avec tes pauvres yeux malades pour écrire cette lettre. Cependant mon Toto chéri, elle paraît croire que c’est d’une grande importance pour son fils et surtout elle désire que tu la lui donnes, cette lettre, le plus tôt possible. Tu verras, mon cher adoré, ce que tu peux faire en cette circonstance mais pour moi je ne me sens pas le courage de te tourmenter.
J’ai remis, ainsi que tu me l’avais indiqué, l’acte de la Ribot et sa lettre sous enveloppe, cachetée au nom de M. Démousseau. D’ailleurs il n’y a aucun danger parce que Mme Pierceau est très soigneuse de sa nature.
Je ne t’ai pas revu depuis tantôt, mon bien-aimé, c’est-à-dire depuis bien longtemps. Est-ce que tu ne vas pas bientôt venir ? J’ai beau avoir de la distraction, de la langue et des yeux, il me semble que le temps me paraît encore plus long dans ces moments-là que lorsque je suis tout à fait seule avec ta pensée. C’est bien bien vrai, mon Toto, cette soirée m’a paru éternelle quoique j’eusse les drôleries creuses et la jacasserie frivole de Mme Krafft bourdonnant autour de mes oreilles. Mais vois-tu, mon Toto, rien ne peut remplacer le regard de l’homme qu’on aime, rien ne peut suppléera au ravissement d’entendre et d’écouter l’amant bien-aimé de son cœur. Aussi j’avais hâte que ces pauvres femmes fussent parties pour penser à toi à mon aise, pour te désirer sans gêne, pour t’aimer sans ennuis et sans distractions aucunes. Les voilà parties et depuis ce temps-là je te gribouille tout ce qui me passe par la tête et par le cœur pêle-mêle comme cela me vient. Je sais bien que tu ne tiens pas à la manière dont je te dis : je t’aime mais à la manière dont je le sens. Je t’aime mon Victor adoré, je t’aime comme tu dois être aimé : à deux genoux.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16351, f. 243-244
Transcription de Olivia Paploray assistée de Florence Naugrette

a) « supléer ».

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