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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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24 juin 1847

24 juin [1847], jeudi matin, 8 h.

Bonjour, toujours plus aimé et plus adoré Toto, bonjour et bonheur à toi et à tous les tiens. Je ne m’en dis pas autant à moi car je suis furieuse contre moi-même et je me battrais si je pouvais. Quand je pense que je ne peux pas m’empêcher de dormir tous les soirs comme un sabot, cela m’exaspère. Encore si tu me parlais et si tu me donnais le temps de me réveiller, ce ne serait que demia-mal, mais tu abuses de mon infirmité pour t’en aller tout de suite et tu te donnes bien de garde de la combattre par le plus petit bout de conversation. Cette conduite déloyale me rend la chose encore plus hideuse et je donnerais tout au monde pour être toujours éveillée quand tu viens comme une portée de souris, afin de te forcer à rester plus longtemps que trois bouchées de fraises. Cela vous attraperaitb et me rendrait bien heureuse. Malheureuse, je ne sais pas ce qu’il faut que je fasse pour cela ? Quelle herbe il faut que je mange ou quel journal il faut que je ne lise pas ? En attendant, vous profitez de cette espèce de léthargie pour vous esquiver le plus vite possible comme un monstre que vous êtes et que je ne peux pas m’empêcher d’aimer.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16365, f. 138-139
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « demie ».
b) « attrapperait ».


24 juin [1847], jeudi, midi ½

Je te verrai tout à l’heure, n’est-ce pas mon amour ? Et puis j’irai te chercher tantôt ? De toutes ces espérances je me fais de la patience et du courage pour t’attendre ; trop heureuse si aucun empêchement ne change mon bonheur à venir en une cruelle déception.
J’ai lu ce matin une lettre datée de Saint-Maurice dans laquelle il est question d’une pauvre petite fille de huit ans qu’aurait laisséea Saint-Firmin, ton premier César de Bazan. Quoique cette lettre soit écrite par une espèce de Barthès Macaire [1], le sort de cette pauvre petite fille m’intéresse et je te prie, comme s’il était besoin de te prier de faire tout le bien que tu peux, de t’y intéresser et de voir ce qu’on pourrait faire pour cette pauvre petite créature. Le souvenir de mon enfance me serre le cœur en pensant à tous les pauvres enfants que le bon Dieu a condamnés à vivre orphelins de la pitié, et le plus souvent de la férocité du premier venu [2]. Je te demande pardon si je me permets de solliciter en faveur de cette pauvre petite fille, tu n’as pas besoin de mes prières ni de celles de personne dès que tu sais le bien qu’il y a [à] faire quelque part ou le mal qu’on peut empêcher. J’aurais très bien pu me dispenser de te gribouiller deux pages à ce sujet si ça n’avait pas été un besoin pour moi de te rapporter tant bien que mal que tu es le meilleur, le plus généreux, le plus grand, le plus admirable et le plus adoré des hommes.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16365, f. 140-141
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « laissé ».

Notes

[1Frédérick Lemaître s’était fait remarquer par son interprétation provocatrice de Robert Macaire, voyou philosophe, dans L’Auberge des Adrets en 1823, mélodrame auquel il donna une suite, Robert Macaire, en 1834.

[2Juliette Drouet perdit sa mère quelques mois après sa naissance, son père l’année d’après, et fut confiée à l’hospice en 1806, puis au couvent à l’âge de dix ans en 1816. Elle ne le quittera pas avant 1821.

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