Guernesey, 22 juillet [18]64, vendredi matin, 6 h. ¾
J’ai déjà salué ton cher petit signal, mon bien-aimé, mais cela ne me suffit pas et je t’envoie mon âme dans un baiser. Comment vas-tu ce matin, mon grand adoré ? As-tu, comme moi, passé une very good nuit ? J’espère que oui. Dans ce moment on entend du port le bruit d’un bateau à vapeur qui part, ou qui arrive, une sorte D’INVITE au voyage que j’accepte de tout mon cœur à la condition que nous partirons tous la pensée, le cœur, l’esprit et l’âme libresa de tout souci et toute inquiétude sur ceux que nous laissons derrière nous [1]. Tu as bien compris, n’est-ce pas, pourquoi je désirais que le souvenir de la pauvre Mme Marquand restât chez toi plutôt que chez moi ? Il est plus naturel et plus sûr que cette poétique relique [2] d’une mourante destinée à son petit enfant qui vient de naître, fût entre des mains jeunes et qui ont l’avenir devant elles, que dans celles d’une bonne vieille femme au déclin de la vie comme moi. Qui trop embrasse mal étreint, dit le proverbe, c’est pourquoi je ne veux étreindre que ton amour dans lequel je veux vivre et mourir et revivre au ciel pour l’éternité. Ce sentiment d’égoïsme doit être permis à ceux qui, comme moi, seb sont fait un culte et une ambition de l’amour d’un seul être au monde.
BnF Mss, NAF 16385, f. 196
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Florence Naugrette
a) « l’esprit et l’âme libre ».
b) « ce ».