2 juillet 1864

Guernesey, 2 juillet [18]64, samedi matin, 10 h.

Bonjour, mon adoré bien-aimé, bonjour. J’espère que, mieux inspiré que moi par le sommeil, tu as dormi la grosse nuit avec un bon morceau de la matinée. Quant à moi, malgré tous les beaux raisonnements pour me forcer à dormir, et en persistant à rester au lit jusqu’à huit heures ce matin, je n’en suis pas plus avancée pour cela. Mais, si j’ai peu dormi, je ne m’en porte pas plus mal, AU CONTRAIRE, et voilà l’essentiel.
Je sais que Miss E. [1] a passé une bonne nuit et je crois avoir vu tout à l’heure de mon cabinet de toilette la voiture qui ramenait sa sœur Miss M. [2]
J’espère que toutes ces bonnes chances, mises les unes au bout des autres, contribuent à la prompte guérison de la jeune malade et changeront toutes les inquiétudes et toutes les tristesses de cette bonne famille et de ton cher petit Toto [3] en joie et en bonheur. Je le désire de tout [mon cœur  ?].
J’ai essayé vainement ce matin de te voir sur ton balcon de la fenêtre du salon. Hélas ! je vois bien qu’il faut que je renonce à tout jamais à cette douce habitude de mes yeux et de mon âme, de te voir familièrement de chez toi chez moi, à tous les instants de la journée. Cette privation, qui fait sourire les indifférents, suffit à me rendre plus que triste et je ne sais pas encore comment je ferai pour me résigner à notre séparation. J’ai le cœur gros de regret autant que d’amour ce matin mais je te bénis.

J.

BnF, Mss, NAF 16385, f. 176
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Florence Naugrette