5 avril 1873

Guernesey 5 avril [18]73, samedi matin, 7 h. 10 m.

Cher adoré, je serais mal venue à me plaindre de ma mauvaise chance puisque c’est par ma faute que je l’ai le plus souvent en restant au lit stupidement comme ce matin. Je ne me plains donc pas mais je rage tout mon saoul.
J’espère que j’aurai peut-être une bonne petite promenade de rabiot tantôt si le temps le permet. Dans ce moment-ci il n’a pas l’air de vouloir s’y prêter beaucoup. Mais le temps, comme l’homme varie, bien fol est qui s’y fie. Je n’accorde donc qu’une confiance très limitée au brouillard d’aujourd’hui.
En attendant mes cocottes sont déjà entrées en fonction ce matin par un bon gros œuf que je te dédie séance tenante comme tous ceux qui viendront après. Hélas ! si cela dépendait de moi ce ne serait pas un œuf que je te donnerais, ce serait toute ta chère couvée de la rue [illis.] et qui s’abattrait chez toi ailes ouvertes et âmes éployées à l’instant même. Ce vœu je le fais en permanence sans l’interrompre jamais, tant j’ai à cœur de te voir heureux au milieu de tous ces chers être^a qui sont la vie de ta vie et la joie de ton âme. Il y a des moments où j’ai envie de partir pour te les ramener plus tôt comme s’il dépendait de moi de guérir plus vite ton cher petit Victor [1] par ma seule présence près de lui. Malheureusement toute ma puissance se borne à aimer stérilement tous ceux que tu aimes ; à souffrir tes souffrances, à t’adorer et à te bénir.

BnF, Mss, NAF 16394, f. 92
Transcription de Maggy Lecomte assistée de Florence Naugrette

a) « être ».