Guernesey, 5 avril 1857, dimanche soir, 8 h. ½
Cher bien-aimé, je t’ai vu plusieurs fois dans la journée aujourd’hui et peut-être plus longtemps à chaque fois que dans tes apparitions habituelles les autres jours et pourtant j’ai le cœur moins satisfait et l’âme moins heureuse que lorsque je te vois quelques minutes seul à seul. Mlle Allix a beau être très gentille et très obligeante pour moi, Quesnard [1] très [doux ?] et Dumas [2] très amusant et très affectueux, rien ne vaut ton baiser [donné ?] de ta bouche à ma bouche et ton doux sourire emplissant ma vie de rayons et de bonheur. Aussi malgré le petit tumulte inaccoutumé qui s’est fait autour de moi depuis hier, tu m’as paru plus absent encore que les autres jours où je te vois moins. Je ne sais pas si tu me comprends mais je veux dire que mon bonheur n’est jamais plus grand que lorsque nous ne sommes qu’entre nous deux. Je songeais, en regardant écrire Dumas sur mon album, à l’épée du grand Frédérick et à la réponse de Napoléon (le grand) à je ne sais quel Las Cases : « imbécilea j’avais la mienne » [3]. Moi aussi j’ai la mienne, D’ÉPÉE, et bien autrement glorieuse que celle de ce brave et excellent Dumas et je ne sais pas pourquoi j’ai eu la puérilité de lui demander de tirer la sienne du fourreau en mon honneur, ce qu’il a fait du reste avec une bonne grâce dont je suis bien touchée et bien reconnaissante. Je t’adore.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16378, f. 60
Transcription de Christine Routier-Lecarpentier assistée de Chantal Brière
a) « imbécille ».