Guernesey, 15 janvier 1857, jeudi soir, 5 h.
Que te dire de moi, mon pauvre adoré, que je suis incorrigible et inconsolable ? Je l’avoue à ma honte et avec le plus profond repentir mais à quoi cela remédie-t-il ? Je n’en aia pas moins perdu pour l’éternité la plus grande et la meilleure partie de cette pauvre petite soirée d’hier. Aussi je ne me le pardonne pas non plus qu’au hideux fafioteur [1] du faubourg Saint-Marceau [2] qui en est la première cause. Je crois que te voilà. J’interromps mes jérémiades pour te sauter au cou.
6 h.
Merci, mon cher bien-aimé, tu viens de me donner du baumeb pour mon cœur malade et toutes sortes de calme et de joie pour mon âme agitée et malheureuse. Maintenant je reprends courage et je vais tâcher d’être aussi bonne que je t’aime, ce qui n’est pas possible, tout bonnement, car la bonté elle-même ne pourrait pas y arriver. Mais enfin je ferai tout ce que je pourrai pour être moins méchante, dussé-jec en crever dans ma peau. En attendant je t’admire dans ton ineffable mansuétude envers tout le monde et je te bénis pour tout ce que tu me donnesd de tendresse, de douceur et d’indulgence. J’ai l’espérance de te rendre tout cela au ciel. Jusque là je t’aime, je t’aime, je t’aime.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16378, f. 13
Transcription de Chantal Brière
a) « n’ai ».
b) « beaume ».
c) « dussai-je ».
d) « donne ».