Guernesey, 18 septembre 1861, mercredi, 9 h. ½
Bonjour, mon cher petit homme, bonjour. Je te l’ai déjà dit de l’âme, du cœur et des yeux tout à l’heure pendant que tu étais sur ton balcon sans que tu t’en sois aperçu. À présent je te le gribouille dans l’espérance qu’il t’arrivera tôt ou tard, ce tendre bonjour, dont ma restitus fait une scie plutôt qu’un bonheur. Mais ici ce n’est pas tout à fait ma faute. Comment vas-tu ce matin, mon cher petit homme ? À en juger de loin par l’apparence, tu vas tout à fait bien, ce dont je suis bien heureuse. Je voudrais pouvoir en dire autant du parti que tu prends de me mettre à la retraite pour tes copies avant l’heure rigoureuse de la complète extinction de mes facultés et de mes organes [1]. Mais comme tu es et dois rester toujours le juge souverain de ce qui convient le mieux à tes intérêts et à ta gloire, je me résigne à ma destitution et je me soumets à l’humiliant rôle d’inutilité, c’est-à-dire à ce qu’il y a pour mon cœur de plus difficile, peut-être même d’impossible. Mais toute répugnance et toute susceptibilité doivent disparaître et se taire devant la nécessité que toi seul peut apprécier de me remplacer et je te laisse toute liberté de choisir qui tu voudras quand tu voudras comme tu voudras du moment où je te suis insuffisante. Tu fais bien de me suppléer et même de me remplacer définitivement et mon devoir, sinon mon bonheur, est de me résigner sans cesser de t’aimer, ce qui serait plus fort que toi et moi.
BnF, Mss, NAF 16382, f. 100
Transcription de Florence Naugrette